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neurs, des prêtres qui se dérobaient à la surveillance de leurs supérieurs schismatiques, des troupes de moines assurés de la tolérance de leurs abbés, et quelques évêques qui mettaient la conscience et le devoir au-dessus des faveurs de cour. Il y eut même de pieuses femmes, et parmi elles de très grandes dames, qui projetaient une visite dans son désert dès que le printemps serait revenu ; mais il le leur défendit en prétextant la fatigue du voyage et les périls de la route. Le patriarche schismatique de Syrie, Porphyre, écrivait avec colère à son complice de Constantinople : « Tout Antioche est à Cucuse. » Il eût été plus exact de dire : Tout ce qu’il y a d’honnête dans les clergés de l’extrême Orient consulte notre ennemi ouvertement ou secrètement ; Chrysostome est plus que jamais l’oracle de l’église. C’était à qui lui enverrait, pour sa santé, des remèdes qu’on savait bons contre l’âpre froid du Taurus. Il avait reçu entre autres d’une noble matrone, nommée Syncletium, un cordial qui en trois jours avait fait disparaître ses faiblesses d’estomac, et le comte Théophile, qui en avait la recette, tenait ce remède à sa disposition et à celle d’Olympias. Sa correspondance d’ailleurs était assez suivie avec ce bon médecin Hymnétius dont il avait fait la connaissance à Césarée. Il lui parvenait aussi de fortes sommes d’argent, quoique ces envois lui déplussent, et cet argent était distribué aussitôt aux pauvres de l’Arménie, ou employé aux entreprises de propagande dont nous allons parler. Les autres étaient à sa charité comme il était à celle des autres. Dénué de tout, infirme et à la merci d’un climat impitoyable, il professait pour lui-même ce qu’il avait prêché au milieu des splendeurs du premier siége de l’Orient, à savoir que la possession des biens de la terre n’était qu’un prêt que Dieu nous faisait pour le restituer par l’aumône : il n’avait jamais su thésauriser que dans le ciel.

Au plus fort de ces soins divers, son inépuisable besoin d’activité ne lui permit pas un instant de repos. Ce ne fut pas assez de sa lutte formidable contre l’empereur, trois patriarches schismatiques et une coalition d’évêques intéressés à le perdre, il aimait la guerre et en chercha une qui fût, pour ainsi dire, un délassement à ses persécutions personnelles. C’est une chose étrange autant qu’admirable de le voir, du fond de cette prison de Cucuse où il se mourait, traqué par des brigands, se jeter dans trois grandes entreprises dont une seule eût suffi à toute l’activité d’un homme ordinaire. Ces entreprises n’étaient pas moins que le triomphe complet de la foi chrétienne en Phénicie, le raffermissement de l’orthodoxie dans l’église catholique des Goths, et, ce qu’on aurait peine à croire, la conversion du royaume de Perse.

J’ai parlé, dans le cours de ces récits, des premières tentatives de Chrysostome pour extirper le culte païen de la province de Phé-