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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.

eût dit que la haine, la vengeance, l’esprit de discorde et de domination tyrannique, avaient fixé leur séjour dans la basilique d’Alexandrie, comme autrefois le troupeau des Euménides dans le pronaon d’Apollon delphien, et qu’ils ne s’y endormaient jamais. Le nouveau patriarche, installé depuis trois ans à la suite d’une élection ensanglantée, était neveu de l’ancien, et il avait apporté sur le même siége, avec un savoir théologique égal, sinon supérieur, des fureurs que ne connaissait point Théophile. L’intrigue et la fourberie avaient été les armes ordinaires de l’oncle ; Cyrille, c’était le nom du neveu, ne reculait pas devant le meurtre. Dès le commencement de son épiscopat, il s’était signalé par deux attentats énormes qui jetèrent l’épouvante dans toute l’Égypte. Maître du bas peuple, qu’il s’attachait par des largesses, et des monastères, qui lui fournissaient des légions de satellites, il les avait lancés contre les Juifs, cette population riche, intelligente, industrieuse, qui était une des gloires d’Alexandrie. Forcée par une attaque nocturne dans le quartier qu’elle occupait, dépouillée de ses biens et en partie exterminée, cette colonie florissante, qui remontait au temps d’Alexandre le Grand, avait été obligée de s’enfuir d’une ville dont son expulsion fut la ruine. Ce premier exploit de Cyrille fut suivi d’un autre resté non moins célèbre, l’assassinat d’Hypatie, belle et savante jeune fille que son mérite extraordinaire avait élevée au professorat dans l’école platonicienne d’Alexandrie, et qui occupait avec gloire la chaire qu’avaient illustrée Clément et Ammonius, Origène et Plotin. Enlevée de sa maison par un lecteur du clergé de Cyrille, elle avait été coupée en morceaux sous le vestibule même de l’église, et les lambeaux de son corps traînés dans les rues de la ville avaient été brûlés en place publique. Les mains teintes du sang d’une femme et de toute une population livrée au carnage, Cyrille se mit en révolte contre l’autorité du gouverneur, que ses moines essayèrent de tuer ; bravant les lois, au-dessus desquelles il se croyait placé, il faisait peser la terreur sur la ville et le joug le plus oppressif sur les évêques de son patriarcat. Si l’église, pour des services rendus dans des discussions de dogme, a cru devoir décerner à ce patriarche le titre de saint, l’homme tout entier appartient à l’histoire, et l’histoire a justement flétri son nom.

La lettre justificative d’Atticus ne pouvait tomber plus mal qu’entre les mains de cet homme, qui ne connaissait que les résolutions extrêmes, dussent-elles être sanglantes. Elle était d’ailleurs humble, timide, et cherchait une excuse pour son auteur dans son humilité même. Atticus essayait de justifier son action par la crainte des violences du peuple de Constantinople et par les désirs de l’empereur ; la faute au reste en devait être imputée, en premier lieu, au patriarche d’Antioche, dont les paroles pleines de témérité et d’audace