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Ce qui n’a pas chômé, ce qui ne s’est pas arrêté un instant, ce sont les mesures administratives pour germaniser, bon gré mal gré, cette moitié septentrionale du Slesvig. Dans ces lamentables histoires d’oppressions et de conquêtes, les navrans souvenirs ne sont pas seulement ceux des batailles, des occupations militaires, des bannissemens, des prisons. A côté de ces maux, il y a, dans les intervalles des crises extrêmes, les souffrances de chaque jour sur le sol de la patrie asservie, celles qui pénètrent jusqu’au foyer, qui torturent le cœur et avec lesquelles il faut vivre. Longtemps le jeune Polonais fut fouetté à l’école, s’il lui arrivait de parler autrement qu’en russe, tandis que la mère polonaise, au retour et pendant tout le soir, lui versait, avec l’accent de la langue nationale, l’ardente inspiration du patriotisme et de la vengeance. Le Slesvig du nord subit en ce moment de la part de la Prusse une oppression qui, pour n’aller plus aux luttes armées, grâce à la disproportion des forces, n’en reste pas moins tracassière et funeste. Le grief douloureux entre tous, suivant les pamphlets populaires que nous avons sous les yeux[1], c’est la substitution de la langue du conquérant à l’idiome national dans l’église, dans l’école, dans les tribunaux. Ces pays sont fortement chrétiens; habitans des villes ou des campagnes, ce leur est une amère déception, quand ils se réunissent le dimanche pour la lecture de l’Evangile et le prêche, ou bien pour chanter les psaumes, d’entendre le prêtre et une infime minorité de fonctionnaires prussiens, maîtres impérieux du pays, imposer la langue allemande, et faire sortir les récalcitrans sous prétexte qu’à une autre heure le service se fera dans la langue du pays. Ils ne voient pas sans une douleur profonde leurs prêtres remplacés par des hommes qu’ils croient beaucoup plus soucieux d’étouffer la nationalité danoise que de soigner les intérêts spirituels du pays qui leur est livré.

« C’est bien plus triste encore, dit un de ces petits livres, si nous passons de l’église à l’école. De l’église, on peut se dispenser, après tout, en cherchant autour de son propre foyer la lecture, la prière, l’édification en commun; mais on est forcé d’envoyer ses enfans à l’école, et d’accepter pour eux une lutte contre nature. Cette éducation première, qui doit être offerte avec une douceur indulgente, saisie avec une curiosité attrayante et féconde, elle devient ici pour l’enfant un sujet d’effort pénible et en même temps de défiance, car d’une part il a pénétré les vrais sentimens de son père et de sa mère, et lui-même, dans ses rapports avec le maître, il se voit privé de ces simples et naïves explications, de cet échange confiant, aux-

  1. En Stemme... Une voix du Nord-Slesvig, brochure in-12, Copenhague 1869. — Meddelelser om Bergivenhederne... Récit de ce qui s’est passé en Slesvig depuis l’invasion austro-prussienne, brochure in-8o, etc.