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bon marché. On rendra les populations au Danemark, oui, mais on gardera le territoire, qu’on peuplera d’Allemands. C’est chose toute simple : l’émigration et l’exil feront place aux colonies germaniques; les écoles prépareront une génération qui ne saura plus guère la langue nationale; une autre génération viendra ensuite qui ne la saura plus du tout. Croit-on que ce jour-là l’influence allemande n’aura pas fait déjà quelques progrès dans les provinces limitrophes, c’est-à-dire dans le sein même de la monarchie danoise abandonnée, elle aussi, à sa faiblesse devant la puissante monarchie prussienne? La contagion qui a déjà envahi le Slesvig gagnera infailliblement le Jutland et ensuite les îles. Combien de tentations inviteront la Prusse à violer l’indépendance du Danemark ! Avec le Jutland et les îles, elle serait maîtresse de la Baltique, elle disposerait de toute une population de matelots habiles et d’une série de ports admirables. Elle n’acquerrait pas seulement de précieux avantages, elle échapperait aussi à de sérieux dangers. En cas de guerre, il n’est pas douteux que ses ennemis ne songeassent à s’assurer tout d’abord la docilité ou la connivence du Danemark, afin d’avoir des lieux de débarquement, des campemens, des refuges, des positions stratégiques; cela s’est toujours fait ainsi. La Prusse ne sera-t-elle pas naturellement tentée de les prévenir? Ne faudra-t-il pas d’ailleurs que le grand peuple allemand reste fidèle, comme on l’a dit, à sa mission civilisatrice? Ne sera-t-il pas indispensable de protéger les nouvelles positions militaires, non-seulement Kiel, mais Dybböl et Als? Les prétextes ne manqueront pas. Déjà le gouvernement prussien médite d’ouvrir ou d’améliorer sur la côte occidentale du Slesvig des ports qui vont attirer tout le mouvement de l’exportation agricole pour l’Angleterre, et qui, de la sorte, créeront au Jutland une concurrence funeste. Bien plus, n’y avait-il pas eu déjà une tentative pour envelopper le Danemark tout entier dans le Zollverein? L’annexion du Jutland à la Prusse, c’est là un événement prochain, en tout cas inévitable au dire des officiers prussiens, qui en parlaient naguère ouvertement et sans gêne : ceux qui ont les cheveux blancs espèrent qu’ils verront, avant de mourir, leur drapeau flotter à la pointe de Skagen, cap extrême du Jutland septentrional. Alors seulement, disent-ils, la Prusse aura ses frontières naturelles.

Faisons un pas de plus. Nous avons affirmé que le péril sous lequel le Slesvig septentrional succombe aujourd’hui menace également le Danemark, rendu par son isolement incapable de résistance. Croit-on qu’il faille s’arrêter là, et que le royaume-uni de Suède-Norvège n’ait pas à compter avec le même danger? La Russie verra-t-elle donc avec indifférence les nouveaux envahissemens de