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grève du Creuzot a été assez promptement apaisée d’ailleurs par la fermeté calme du directeur, M. Schneider, le président du corps législatif, et aussi par la présence d’un petit corps de trois mille hommes de troupes envoyé pour protéger la liberté des ouvriers, qui ne demandaient pas mieux que de reprendre leur travail après avoir cédé aux suggestions de quelques meneurs. Malheureusement tout n’est peut-être pas fini, et les influences qui ont un moment agité le Creuzot pourront bien l’agiter encore. Ce que coûtent d’ailleurs ces grèves le plus souvent fomentées dans des vues fort étrangères aux intérêts des ouvriers, on en a une autre preuve par ce qui s’est passé tout récemment dans un centre industriel de la Silésie, à Waldenbourg, Certaines associations ouvrières qui ont passé d’Angleterre en Allemagne et qui tendent à pénétrer en France ont pesé sur les mineurs de Waldenbourg. Ceux-ci ont quitté le travail, ils sont restés pendant sept semaines en grève ; qu’ont-ils gagné ? La plupart ont épuisé leurs épargnes, beaucoup ont émigré, le reste a dû finir par reprendre le chemin du chantier. Les ouvriers se sont appauvris, les propriétaires des mines de Waldenbourg ne se sont pas enrichis, et c’est le résultat le plus clair, le plus invariable de ces guerres, qui ne font qu’aggraver la condition des uns et des autres sans profit pour personne.

S’il y a dans le monde au moment présent un pays qui ait de la peine à se dégager de la confusion et à voir clair dans ses affaires, ce pays est l’Espagne. La révolution de septembre en est arrivée à ce point où elle ne peut plus avancer ni reculer. On vit dans un provisoire indéfini dont les partis et les ambitions s’accommodent mieux que les intérêts publics. Assurément depuis dix-huit mois le peuple espagnol a donné toutes les marques possibles de bonne volonté, il s’est prêté à tout, et il n’a laissé voir jusqu’à un certain point ce qu’il voulait qu’en montrant une égale indifférence pour l’insurrection républicaine et pour l’insurrection carliste de l’été dernier. Au fond, il n’est ni radical ni absolutiste. Rien ne semblerait plus simple d’après cela ; on en pourrait conclure sans trop d’effort que le pays veut une monarchie libérale, constitutionnelle. Il n’est point douteux que ce soit là effectivement le vœu intime du plus grand nombre des Espagnols, et il faut même, en vérité, que l’Espagne soit d’une robuste complexion monarchique pour avoir résisté à toutes les épreuves, à toutes les excitations, qui ne lui ont pas été ménagées ; mais la difficulté est toujours de rajuster les morceaux de cette monarchie et de trouver le nom de ce monarque inconnu à la place duquel il y a provisoirement à Madrid un régent qui ne paraît pas pressé d’abdiquer. Les partis en effet se tiennent tellement en échec qu’ils ne peuvent rien faire. Union libérale, progressistes, radicaux, se neutralisent complètement dans l’assemblée constituante comme dans le gouvernement, et quand l’un des partis veut faire un pas en avant, tous les