Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/796

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une famille illustrée dans la guerre, éprouvé dès son enfance par la révolution qui livrait son père à l’échafaud, serviteur clairvoyant et peu enthousiaste du premier empire, pair de France indépendant et libéral sous la restauration, ministre courageux sous la monarchie de juillet, simple représentant sous la seconde république, il était arrivé à n’être plus rien pendant les dix-huit dernières années de sa vie, — rien, si ce n’est le duc de Broglie. D’autres ont eu un rôle plus actif, plus éclatant ou plus flexible ; le duc de Broglie est resté un type du grand honnête homme en politique, répandant autour de lui une sorte de contagion du bien, digne d’inspirer ce mot : « Je veux conserver le droit de pouvoir saluer le duc de Broglie. » Le respect se perd, le respect est perdu, a-t-on dit depuis longtemps ; le duc de Broglie a eu le privilège d’entretenir le respect autour de lui.

Il n’a jamais eu peut-être la popularité, il avait la considération, et cette considération, il l’avait conquise bien moins par l’éclat de la naissance et du nom que par l’inaltérable rectitude d’une vie publique qui commençait, en 1815, par le vote contre le supplice du maréchal Ney, qui s’est continuée par la défense de toutes les causes justes, pour s’achever dans la dignité simple d’une retraite noblement acceptée. Les Écrits et Discours qu’il laisse sont l’image de sa vie ; ils portent la marque d’une âme haute et ferme, d’un caractère supérieur à toutes les mobilités vulgaires, d’un esprit pénétrant et profond, accoutumé à chercher la raison des choses et à l’exposer dans un langage animé d’une passion contenue. Le duc de Broglie était de ceux qui peuvent être troublés, attristés par les événemens, qui ne se laissent pas décourager, même quand la liberté semble s’éclipser, parce qu’ils croient à la puissance du vrai et du juste. Libéral il avait été dès son adolescence, libéral il est resté dans sa vieillesse, et du moins il a pu voir luire sur ses derniers jours les rayons d’une renaissance politique qui était dans ses vœux. Il a pu quitter la scène du monde en bon serviteur de la France, réjoui par cette dernière victoire des idées qu’il avait toujours servies. C’est la compensation des outrages démagogiques qui n’ont pas été épargnés au duc de Broglie jusque dans la mort par ceux qui ne seront plus rien depuis longtemps, dont on ne connaîtra seulement pas les noms lorsque cette illustre figure sera saluée encore comme une des plus sérieuses images de la France libérale de notre siècle. ch. de mazade.