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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/799

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n’éprouve pas le moindre embarras sur ce point. Dieu a créé la matière par un acte libre de sa volonté, absolument comme l’homme crée toutes ses œuvres avec la matière que le grand créateur lui a mise entre les mains. Cette argumentation est-elle concluante? Il y a lieu d’en douter, si l’on songe à l’impossibilité de concevoir le néant autrement que comme la négation toute relative de telle ou telle espèce de matière. L’auteur semble en être encore, d’ailleurs, à l’idée antique et toute scolastique d’une matière inerte et abstraite, sans autres propriétés essentielles que l’étendue, la figure et la solidité. On sait que cette image, due à une fausse science de la nature, tend de plus en plus à disparaître devant une tout autre notion, dont l’expérience et non plus l’imagination a fourni les élémens. Enfin l’auteur ne peut ignorer, bien qu’il ne paraisse pas en tenir compte, que pour Leibniz et toute son école la matière se réduit à la force, et que l’espace n’est que la coexistence des corps, composés de monades ou forces simples. Toute cette partie de la doctrine de l’auteur est donc sujette à contestation.

Ce n’est point dans la spéculation métaphysique que l’auteur montre la. force et l’originalité de sa pensée ; c’est dans cette intuition mystique du sens intime, renouvelée de Maine de Biran, où l’auteur se complaît à chercher toute vérité. « La conscience porte en elle les réalités le plus directement connues : ces réalités sont l’âme et Dieu, que nous apercevons dans leur être propre, immédiatement. » Que nous voyions l’âme elle-même dans ce miroir de la conscience, c’est la doctrine des grands psychologues de tous les temps; mais que nous y apercevions aussi Dieu, c’est un point plus difficile à comprendre. L’auteur le sent et cherche à nous l’expliquer d’une façon ingénieuse et qui ne manque pas de profondeur. « Si nous sommes capables d’apercevoir imparfaitement l’unité de notre être spirituel, c’est parce qu’au centre de notre conscience une unité supérieure à laquelle rien ne manque s’est montrée d’abord à notre vue. Nous devenons intelligibles à nous-mêmes dans l’intelligibilité première et directe de cette conscience infinie. » L’auteur développe cette idée en plusieurs pages, afin de la rendre claire. Il nous a paru qu’il n’y réussissait pas complètement. M. Ravaisson avait déjà dit que nous ne comprenons bien la nature que par l’âme, et que nous ne comprenons l’âme que par Dieu; mais ceci n’est que la formule dernière d’une doctrine savante et très développée qui fait de la nature entière une pensée, une volonté inconsciente, laquelle, de même que la volonté et la pensée consciente de l’âme, ne s’explique et ne se définit que par l’idéal de pensée et de volonté qui est Dieu. C’est le principe même de la métaphysique expliquant toutes choses par la lumière d’en haut, tandis que le principe de la physique est de tout expliquer par la lumière d’en bas.

M. Lefranc est de cette école. S’il n’y apporte pas de vérités bien