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VOYAGE AUTOUR DU MONDE.
Java, Siam, Canton, par M. le comte Roger de Beauvoir. Paris, H. Plon.
Les Philippines, par M. C. Semper. Wurzbourg, Stuber.


Il fut un temps où les récits de voyages lointains étaient lus avec cette curiosité désintéressée que peuvent inspirer des contes de fées, où revenir de Siam ou des pays de la lune était à peu près la même chose aux yeux de la foule des lecteurs, peu désireux d’y aller voir. Si de nos jours les contrées éloignées ont perdu le charme mystérieux des choses placées hors de notre portée, il s’y attache un intérêt plus direct et plus vif, c’est la pensée qu’à chaque instant elles pourront jouer un rôle dans notre existence. Le tourbillon de la vie forme des cercles de plus en plus vastes, et peut toucher aux rivages les plus reculés.

Voici M. de Beauvoir qui, en compagnie du jeune duc de Penthièvre, revient d’un voyage de circumnavigation; en moins de deux ans, ils ont vu défiler devant leurs yeux éblouis des tableaux pleins de contrastes et pleins d’enseignemens. Nous avons déjà parlé ici même du livre curieux que le jeune touriste a consacré à l’Australie; nous avons parcouru avec lui les cités florissantes et les prairies peuplées de troupeaux du troisième monde. Il vient aujourd’hui nous dépeindre Java et Siam, en nous promettant la Chine et la Californie pour plus tard. Il y a une différence marquée dans le ton des deux volumes; on sent qu’en abordant ces pays étranges de l’extrême Asie dont ils ignorent les langues, les voyageurs se trouvent en présence d’un élément incommensurable avec leurs idées et leurs sentimens. M. de Beauvoir ne sort plus guère des récits d’aventures, descriptions pittoresques, détails tour à tour comiques ou horribles, qui émaillent les livres des voyageurs ordinaires, pour se livrer à des réflexions sur l’avenir des peuples qu’il vient devoir chez eux. Disons cependant que ses descriptions et ses récits sont charmans et d’une vivacité de coloris qui ne laisse jamais faiblir l’intérêt.

M. de Beauvoir a vu Java encore à temps pour assister à la lutte entre le progrès industriel qui s’apprête à transformer l’île par le moyen d’un chemin de fer, et la routine patriarcale qui depuis des siècles y régnait sans conteste. Rien ne peint le passé et l’avenir comme de voir alterner dans ce pays les moyens de transport des temps primitifs avec les railways, qui représentent la locomotion pour ainsi dire abstraite, le déplacement sans phrase et sans cérémonie. Là où il existe des routes carrossables à travers les forêts, on voyage en chaises de poste indiennes, grands paniers couverts d’un toit blanc, avec sièges par devant et par derrière, attelés de poneys qui sont conduits par un Malais. Voici comment l’on franchit les endroits difficiles. s’agit-il de descendre et de remonter les flancs d’un ravin entre deux montagnes de lianes, on met en