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Brougham débutait dans la vie, l’entrée de l’arène publique était presque toujours ouverte aux hommes nouveaux par quelqu’un de ces opulens seigneurs qui disposaient d’autant et de plus de sièges au parlement qu’ils ne possédaient de châteaux; mais, pour obtenir leur puissant patronage, la première condition était de faire arriver son nom à leurs oreilles, et Brougham n’ignorait pas que le barreau de Londres, par la variété des élémens dont il se compose et par la nature cordiale de ses usages, lui offrait des chances qu’il n’aurait point trouvées à Edimbourg. Sa conversation brillante et intarissable, moins désordonnée, moins verbeuse qu’elle ne devait le devenir un jour, lui fit bientôt une réputation au-delà des vieilles murailles de Lincoln’s Inn. Nul parmi ses confrères n’était appelé aussi souvent que lui à s’asseoir à la table de quelque grave pair whig, ou à fournir son contingent de gaîté durant ces soupers nocturnes dont les jeunes membres du parti, fidèles disciples de Sheridan et de Fox, n’avaient garde de perdre la tradition. Les premières relations de Brougham s’étaient nouées en effet avec les whigs, et c’était de leur côté que l’intérêt bien entendu conseillait à un jeune homme ambitieux de se tourner. Bien qu’à cette époque Pitt tînt encore les rênes du gouvernement, elles commençaient déjà à flotter plus lâches entre ses mains affaiblies. Il n’était pas dans les données de la prudence humaine de prévoir que les whigs, après avoir ressaisi un instant le pouvoir, devaient le perdre de nouveau pour en demeurer ensuite éloignés pendant vingt-trois ans. Brougham était fait d’ailleurs pour être un whig, car il avait le tempérament essentiellement réformateur. Réformer était chez lui une préoccupation constante, un besoin, une manie; il se plaisait à exercer de la sorte les facultés de son esprit à la fois inventif et inconsidéré, hardi et brouillon; mais ce qui contribua peut-être le plus efficacement à entraîner Brougham dans les rangs du parti whig, ce fut le charme exercé sur lui comme sur bien d’autres par le salon de Holland-House. Aujourd’hui la société a si fort changé de face, qu’un salon, s’il cesse d’être un désert, devient aussitôt un caravansérail. On a donc peine à s’imaginer tout ce qu’une hospitalité gracieuse et seigneuriale pouvait faire autrefois pour enrôler au profit d’un parti de jeunes adhérens. Macaulay parlait encore avec émotion au bout de trente années « de ce cabinet vénérable de lord Holland, dont la grâce d’une femme savait tempérer l’aspect sévère, de ce salon où tout ce que les lettres et la politique avaient produit de plus illustre se réunissait chaque soir pour causer de la dernière discussion du parlement ou de la dernière pièce de Scribe, et par-dessus tout de la grâce et de la bonté, encore plus admirable que la grâce, avec laquelle le propriétaire de