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tuite, il l’a trouvée un livre fermé et il l’a laissée une lettre vivante, il l’a trouvée le patrimoine du riche et il l’a laissée l’héritage du pauvre ! Pour mon propre compte, j’estime que ce serait pour moi un plus grand honneur d’être l’instrument d’une pareille transformation que d’être revêtu des plus hautes fonctions. Je n’ai pas vécu près d’un demi-siècle sans apprendre combien il est aisé de se passer de ces fonctions et du pouvoir qu’elles confèrent; mais il y a un pouvoir et une fonction que je prise, c’est d’être ici l’avocat de mes compatriotes, et ailleurs le compagnon de leurs travaux pour assurer le triomphe de ces réformes qui intéressent le bien-être de l’humanité, car ce pouvoir, cette fonction, aucun gouvernement ne les confère, aucune révolution ne les enlève. »

Un talent oratoire qui allait chaque jour s’élevant, un savoir réel dont une grande habileté de mise en scène augmentait encore l’apparence, une activité qui ne connaissait point de repos, une popularité soigneusement entretenue dont le procès de la reine Caroline était l’origine, avaient créé à Brougham une situation peut-être sans précédent au parlement. Peu de temps avant sa fin prématurée, Canning commençait à en prendre ombrage, et il refusait d’accepter un siège à la chambre des lords, alléguant que Brougham, tout en affectant d’être son défenseur à la chambre des communes, finirait par devenir son maître. En 1827, l’avènement d’un ministère exclusivement tory, sous la direction de Wellington et de Robert Peel, rejeta Brougham dans la voie d’une opposition plus décidée. Il appuya cependant de toute son éloquence la mesure de l’émancipation des catholiques, et il mérita sa part des éloges que Peel donnait plus tard à la conduite généreuse et loyale de l’opposition whig. Mais le moment approchait où le cours des événemens devait l’appeler lui-même à ces fonctions, à ce pouvoir dont le dédain lui inspirait de si beaux mouvemens oratoires. L’émancipation des catholiques avait porté au parti tory, en le divisant, le même coup que le célèbre dissentiment de Fox et de Burke au sujet de la révolution française avait porté au parti whig. Tout le monde prévoyait qu’un jour ou l’autre les ultra-tories, les eldonites, comme on les appelait du nom du vieux chancelier lord Eldon, se joignant aux whigs, mettraient en minorité le ministère du duc de Wellington. De plus, et c’est là une leçon dont tous les partis devraient bien profiter, un long exercice du gouvernement avait usé leur popularité, dont les whigs avaient recueilli l’héritage ; mais la secousse finale qui devait jeter à terre leur édifice ébranlé aurait pu tarder longtemps encore sans un événement qui bouleversa toutes les prévisions. Au moment où le pays se préparait dans le plus grand calme à remplacer par des élections nouvelles le parlement dissous à la