Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/874

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelques jours, mais de quelques jours seulement. « Et comme, ajoutait-il, les changemens qui pourraient advenir dans la composition du ministère n’ont rien qui m’intéresse personnellement, je déclare formellement qu’au jour fixé j’entretiendrai la chambre de la réforme parlementaire, quel que soit l’état des affaires et quelques noms que portent les ministres de sa majesté. »

L’incident fit du bruit, et la rumeur se répandit que le nouveau ministère whig n’aurait pas l’appui de Brougham. Que se passa-t-il au lendemain de cette séance? Fut-ce Brougham qui prit franchement son parti de mettre à prix son concours? fut-ce au contraire lord Grey qui sentit la nécessité de l’acheter? On ne l’a jamais su d’une façon bien positive; mais à quelques jours de là le public apprit avec étonnement que Brougham remplirait dans le nouveau cabinet l’importante fonction de lord chancelier. Il était presque sans exemple qu’une aussi haute dignité fût ainsi conférée de prime abord à quelqu’un qui n’avait jamais rempli aucun office judiciaire. Une pointe de gaîté se mêla à la surprise, quand on apprit qu’il était créé pair sous le double titre de baron Brougham et de baron de Vaux. Ses familiers lui avaient bien ouï parler de ses droits à prendre le nom et les armes d’une certaine famille de Vaux éteinte depuis fort longtemps, mais ils n’avaient pas imaginé qu’il élèverait la prétention de porter un double titre tout comme un Hamilton ou un Buccleugh. Ses ennemis se répandirent en sarcasmes et ses amis ne purent s’empêcher de sourire. « C’est bien, Harry, lui dit sa mère en l’embrassant, mais j’aimerais mieux vous savoir encore membre du parlement pour le comté d’York. » La rigide Écossaise n’avait pas tort. Le jour où Brougham quitta la chambre des communes marque la fin de la plus belle moitié de sa carrière publique.


III.

Les fonctions élevées que Brougham allait remplir dans le cabinet de lord Grey étaient de nature à lui fournir l’emploi de son activité et à mettre en relief ses facultés diverses. Beaucoup mieux rompus que nous à la pratique du gouvernement parlementaire, beaucoup moins méticuleux sur la théorie, les Anglais voient sans scrupules constitutionnels le lord chancelier exercer des attributions à la fois politiques, administratives et judiciaires, au grand mépris du principe de la séparation des pouvoirs. Le lord chancelier est d’abord, bien que ministre, président de droit de la chambre des lords, ce qui dans une assemblée française paraîtrait intolérable. Il remplit ensuite dans le cabinet britannique un poste équi-