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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/951

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dans les deux. Nous sommes ici dans les sphères ontologiques du christianisme. Le Christ de Michel-Ange est grand non parce qu’il a connu des souffrances passagères, mais parce qu’il est l’exécuteur d’un décret arrêté dès l’origine des temps. Il ne se peut rien concevoir de plus haut, rien de plus abstrait; que Michel-Ange ait pu présenter sous une forme aussi concrète une conception aussi métaphysique, cela seul suffirait pour attester la puissance de son génie.


Telles sont les visions conçues et exécutées par le grand artiste florentin pour obéir au sentiment de piété familiale qui décida Jules II à embellir cette chapelle construite par un pape qui porta comme lui le nom de Della Rovere. Certes voilà bien le plus splendide hommage que jamais oncle ait reçu d’un neveu.


III. — LE CHRIST DE SANTA-MARIA-SOPRA-MINERVA. — LA PIETA DE SAINT-PIERRE. — LE MOISE DE SAINT-PIERRE-IN-VINCOLIS.

Deux fois j’ai regardé longuement le Christ de la Minerve sans y voir autre chose qu’un superbe morceau de sculpture. A la troisième visite, j’ai compris la signification morale de ce beau et robuste jeune homme, et j’ai été saisi d’une admiration que partageront certainement tous ceux qui sont parvenus à surprendre quelques-uns des plus hauts sentimens de l’humanité.

Par la fermeté qui se révèle dans toute son attitude, ce Christ de la Minerve est un type souverain d’aristocratie. Ce qui fait la gloire des aristocraties, leur légitimité, leur raison d’être, c’est qu’elles sont capables de s’élever au-dessus des erreurs, des passions et des lâchetés de la sensibilité par la connaissance claire, lumineuse, des lois nécessaires des choses. Elles ne s’étonnent de rien parce qu’elles savent que les combinaisons du possible sont infinies; elles ne s’émeuvent de rien parce qu’elles savent qu’il faut toujours s’attendre à tout dans un monde où elles ont vu échouer mille fois les plans les plus réguliers de la sagesse, et se rompre les mailles les plus serrées du filet de la prudence; elles ne s’indignent et ne s’apitoient sur rien, parce qu’elles savent que l’indignation et la pitié ne sont que des emportemens de la faiblesse humaine, et sont impuissantes contre la tyrannie du destin. Elles n’espèrent jamais fortement, parce que tout passe et se détruit, elles ne désespèrent jamais longuement, parce que tout arrive et recommence. C’est à la lumière de cette impassibilité qu’elles jugent leurs propres intérêts et qu’elles considèrent leurs propres malheurs. Insultes, revers, dangers, sont pour elles autant de coups prévus du grand jeu d’échecs du monde. La lâcheté seule est inexcusable, non pas parce qu’elle est un vice, mais, ce qui est bien plus grave, parce