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LA GUERRE DU PARAGUAY.

qu’une armée de 17,000 hommes, répandus par petits détachemens dans toutes les provinces, et qui ne pouvaient, dans tous les cas, être mobilisés qu’en très faible partie. Au contraire Lopez était concentré sur un terrain que la nature a préparé admirablement pour la défensive. De plus, il pensait mettre à profit les hostilités alors pendantes entre la Bande-Orientale et le Brésil, et auxquelles il ne lui semblait pas impossible que la confédération argentine vînt se mêler. Il espérait tirer parti de la jalousie que nourrissent tous les états qui composent la confédération contre la prépondérance de Buenos-Ayres. Il comptait profiter de ces discordes, et réaliser, grâce à la supériorité de son armement, les grands desseins de son ambition.

L’événement a prouvé que tous ses projets n’étaient que de vains rêves, fruits avortés de l’orgueil et de l’inexpérience. À la façon dont il s’y prit pour attaquer ses adversaires, il ne réussit qu’à mettre la paix entre eux et à les réunir contre lui ; il amena le résultat le plus extraordinaire sous la forme d’une alliance efficace et durable entre les Portugais du Brésil d’un côté et les Espagnols de la confédération argentine et de l’Uruguay de l’autre. Celui qui, avant l’agression de Lopez, se fût avisé de prédire la possibilité d’une pareille alliance n’eût fait que soulever autour de lui des rires d’incrédulité. C’est cependant ce qui est résulté de la folle conduite du dictateur paraguayen, à qui le plus simple bon sens et l’exemple de ses prédécesseurs auraient dû enseigner que les querelles intestines de ses voisins étaient pour lui des garanties de sécurité, et qu’il devait par-dessus tout éviter d’y mettre la main. Ses combinaisons militaires n’ont pas eu plus de succès que sa politique ; mais aussi n’était-ce pas le comble de la témérité à lui, chef d’une petite population de 1 million 200,000 environ, pauvre, inerte, ignorante, sans commerce et sans industrie, d’aller provoquer 12 ou 13 millions d’hommes bien autrement actifs et éclairés que les malheureux Guaranis du Paraguay, bien autrement riches et industrieux, maîtres d’un gros budget et d’un grand crédit, pouvant enfin dès le premier moment le bloquer chez lui et lui couper toutes communications avec le reste du monde ?

Au point de vue de la raison, ces projets étaient insensés ; au point de vue moral, c’était bien pis encore. Le jour où il commença les hostilités, sans déclaration de guerre préalable ni contre le Brésil, ni contre les Argentins, le maréchal Lopez n’était engagé dans aucune contestation sérieuse avec aucun de ses voisins. Il y avait bien des questions de délimitation de frontières qui étaient à régler ; mais il semblait que d’un commun accord on se fût entendu pour les laisser dormir dans les cartons des chancelleries. On ne disputait sur