Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/1004

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Joconde l’idéal d’une belle âme, une candeur savante. La vertu de cette Modestie n’est pas une ignorante naïveté, un charmant instinct; ce n’est pas la virginité rougissante de l’âme avant le grand et redoutable hymen de la vie : c’est une vertu acquise par préférence volontaire, choisie, après délibération, par bon goût autant que par sagesse. Dans cette toile au moins, la modestie remporte le triomphe que lui accorde si rarement la vie, car entre ces deux figures l’amour ne saurait hésiter. Irrésistible aussi, mais d’une tout autre façon, est la figure de Jeanne de Naples. Rarement la sensualité s’est présentée armée d’une aussi redoutable douceur. Contempler cette tête mignonne, au frais incarnat, aux cheveux dorés, c’est contempler la lumière d’un beau jour, et le cœur se fond lentement devant elle, comme une cire qui resterait exposée à l’action d’un soleil de printemps. Nous sommes loin ici de la Joconde à l’impénétrable sourire : dans ce visage, tout mystère est à découvert; l’âme apparaît à fleur de regard; celui qui s’approchera gagnera la contagion d’amour aussi certainement qu’il trouvera la fraîcheur, s’il cherche l’ombre, et la chaleur, s’il cherche le soleil.

Les deux grandes richesses de Saint-Onuphre sont les fresques peintes à l’extérieur de l’église sur les lunettes du portique par le Dominiquin, et les décorations de la tribune que se sont partagées Balthazar Peruzzi et le Pinturicchio. Ce dernier a également peint à fresque sur un des murs de l’église une toute gracieuse madone; or, comme ce pieux badinage d’un pinceau sévère décore l’église à la manière dont un croquis tracé avec goût sur un mur nu décore l’atelier d’un jeune artiste, nous ne pouvons nous empêcher d’émettre l’hypothèse que cette petite fresque pourrait bien être l’origine de celle de Léonard. Léonard, piqué d’émulation par cette madone que le Pinturicchio avait peinte en s’amusant, a-t-il voulu montrer son savoir-faire, ou bien a-t-il été invité à le montrer, ou bien les deux artistes ont-ils d’un commun accord, dans une heure d’enjouement généreux, décidé cet assaut de leurs deux talens, et ont-ils enrichi les bons hiéronymites de ce double cadeau par manière de divertissement? Nous ne savons, mais quelque chose nous avertit que ces deux madones s’expliquent l’une par l’autre, et que, si elles ne sont pas nées simultanément d’une même pensée, l’une des deux doit certainement son existence à l’autre.

Les ouvrages que le Pinturicchio a laissés à Rome sont nombreux et considérables, et, à l’exception du petit Couronnement de la Vierge, page admirable par le sérieux du sentiment, à la galerie du Vatican, ils appartiennent tous à la peinture à fresque, la seule vraie et grande peinture, comme le disait si justement Michel-Ange, et comme on le comprend si bien après quelques semaines de séjour