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Voilà le charme profond du Pinturicchio, surtout dans ces fresques de Saint-Onuphre et dans le petit tableau du Couronnement de la Vierge : il peint des âmes. Cependant il sait revêtir ces âmes de corps robustes et beaux ; ses personnages ne sont point d’intangibles vapeurs mystiques, ce sont des représentations solidement accusées de réalités bien vivantes. Parmi les nombreuses figures de ces fresques de Saint-Onuphre, une surtout ne me sortira jamais de la mémoire : celle d’une jeune sainte, debout, la tête inclinée avec une humilité d’adoration charmante, superbe fille à la beauté vigoureuse et presque populaire. Les Italiens ont rarement mérité le reproche qu’on fait aux peintres mystiques de peindre des âmes immatérielles, et le Pinturicchio l’a mérité moins que tout autre : ses personnages ont donc des corps capables de porter leurs âmes, quelque chargées qu’elles soient de sentimens et de pensées; mais c’est à ce rôle que le Pinturicchio borne les corps; il ne leur permet qu’une ou deux attitudes et leur interdit rigoureusement toute pantomime démonstrative. Au contraire les âmes parlent par le regard avec une austérité, une ardeur, une piété, une sincérité, une bonhomie incroyables. Ce sont des âmes sans feintise, modestes autant que vraies, qui laissent couler tout bonnement leurs sentimens de la source de la nature, qui n’attendent pas pour les laisser voir qu’ils se présentent sous la forme d’un flot triomphant ou d’un jet exceptionnellement beau, comme le font trop souvent, à partir de Raphaël, les personnages de la peinture. Ces âmes-là n’ont pas eu d’heures où elles aient été plus pieuses, plus austères, plus vraies qu’à d’autres; elles ont constamment gardé leurs vertus, et voilà pourquoi elles possèdent une naïveté que ne posséderont plus les figures de l’art dans les siècles suivans. Ajoutez encore, ainsi que me le disait très justement notre directeur de l’académie de Rome, à qui je soumettais les observations qui précèdent, que le Pinturicchio, comme tous les maîtres antérieurs à Raphaël, a le respect de ses sujets à un point où les artistes postérieurs ne l’eurent jamais. Il songe à la vérité plus qu’à la beauté, mais il est récompensé de cette déférence, car la beauté qu’il ne cherche pas, il la trouve presqu’à son insu et contre son gré.

Cette profondeur d’expression, qui éclate surtout dans les fresques de Saint-Onuphre, où l’artiste a représenté des apôtres et des saintes rangés ou agenouillés aux côtés de la Vierge assise dans sa gloire, n’est qu’un des dons du Pinturicchio. Il en a de fort nombreux et de fort divers, quelques-uns même assez surprenans. Au risque de me faire accuser de paradoxe, j’ose déclarer qu’à mon avis le Pinturicchio est un des plus grands peintres de paysage qu’ait eus l’Italie. A la vérité ces paysages, qui sont simplement l’encadrement néces-