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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 avril 1870.

Un de ces derniers jours, comme nous flottions sans cesse entre l’incident de la veille et l’incident du lendemain, comme nous en étions encore à nous demander si nous entrions dans une crise nouvelle provoquée par ce plébiscite qui a éclaté à l’improviste, un étranger, homme d’esprit, accoutumé à suivre nos affaires, nous disait avec un mélange de surprise et d’inquiétude : « Ce qui se passe en France est vraiment d’un prodigieux intérêt pour nous tous Européens. Vous nous donnez quelquefois, il est vrai, de bien mauvais exemples dans tous les genres. N’importe, la France est toujours la France ; tous les yeux sont fixés sur elle aujourd’hui plus que jamais. Il y a seulement un fait qui nous effraie autant qu’il nous intéresse, parce que nous ne le comprenons guère. Vous êtes un peuple étrange. À peine êtes-vous engagés dans une voie, vous voulez à tout prix et d’un seul coup aller jusqu’au bout. La réalité profitable et solide du moment ne vous suffit pas. On dirait que vous tenez absolument à dégager la quintessence des choses, à démonter pièce à pièce le mécanisme de vos institutions pour tout remettre en ordre selon le meilleur modèle. Vous êtes des théoriciens agitateurs et ingénieux. Un jour, vous vous livrez à des assauts d’éloquence pour rechercher s’il n’y a point par hasard incompatibilité entre le suffrage universel et la monarchie. Un autre jour, il s’agit de savoir si les réformes que vous avez conquises sont des concessions ou des restitutions, ou des revendications de droits imprescriptibles. Vous voilà maintenant occupés à vous débattre sur un plébiscite qui n’est qu’un expédient périlleux, s’il n’est pas la théorie la plus vaine. La passion de la logique et des mots retentissans vous perd. Vous livrez à chaque instant la proie pour l’ombre. Voyez l’Angleterre : si l’on voulait mettre la conférence dans ses institutions, rien ne resterait debout, ce serait une véritable confusion. Est-ce que l’Angleterre s’est inquiétée de quelques dissonances ou de quelques contradictions apparentes