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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/1024

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personne; tous les droits, tous les intérêts, seraient sauvegardés; seulement chacun serait exproprié pour cause de félicité publique moyennant une indemnité préalable, et muni d’un titre constatant ses droits. Ce que rapporteraient ces titres, ces créances sur l’actif social, on n’en dit rien, et tout fait supposer qu’ils seraient inertes entre les mains de leurs détenteurs. Cette liquidation, qui aboutirait en fin de compte à une spoliation, aurait pour objet, d’après les inventeurs, de mettre les instrumens de travail à la portée de tous ceux qui sont en état de s’en servir. C’est la vieille théorie du droit au travail qui se reproduit sous une formule nouvelle sans avoir gagné en vieillissant. Mettre du travail à la disposition de ceux qui en demandent ou leur fournir un outillage complet, n’est-ce pas absolument la même chose? — A entendre ces nouveaux réformateurs, tous les instrumens de production sont aujourd’hui entre les mains de quelques-uns, qui en font payer l’usage à ceux qui ne les possèdent pas, ce qui est, suivant eux, la négation du droit de produire inhérent à la nature de l’homme, et sur lequel repose la base même de la société. — Est-il besoin de leur répondre que c’est là une erreur manifeste, que la richesse vient du travail, qu’elle est répartie en proportion même des efforts de chacun, et qu’elle doit être respectée à l’égal de la personne humaine, dont elle est une émanation. Le point de départ de l’humanité est l’homme nu sur la terre nue, et, s’il existe aujourd’hui des richesses, des instrumens de production, c’est par bien des labeurs qu’on les a créés. De quel droit en priverait-on ceux qui se sont ou dont les ancêtres se sont imposé des privations pour les obtenir?

Après les liquidateurs viennent ceux qui demandent la gratuité du crédit. On avait pu croire que cette formule imaginée par Proudhon était morte avec lui. Il n’en est rien, elle a survécu au célèbre démagogue et a conservé des adeptes, même après que l’inventeur l’eut lui-même abandonnée. Il s’agit, on s’en souvient peut-être, d’organiser une banque qui escompterait gratuitement les valeurs qui lui seraient présentées. Cette banque, il n’est pas besoin de le dire, devrait être créée par l’état, car j’imagine que ceux qui ont des fonds disponibles se garderaient bien de les consacrer à une entreprise aussi peu profitable; mais l’état lui-même, comment pourrait-il se les procurer, sinon par l’expropriation et la création d’un papier-monnaie avec cours forcé? C’est par un détour nous ramener à la liquidation sociale. Le système de la gratuité du crédit ne se borne pas à supprimer l’intérêt que donne une somme prêtée, il supprime aussi le revenu provenant d’un capital quelconque, tel que le loyer des habitations, la location des terres, le bénéfice qui résulte de l’usage des machines, etc. Dès lors, quel intérêt aurait-on à bâtir des maisons, à défricher des terres, à construire des machines, si celui qui s’en sert se borne à vous rembourser vos dépenses? On trouverait plus simple de garder son argent et de le dépen-