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tion d’un entrepreneur, qui prend pour lui tous les risques, est donc plus avantageuse pour le travailleur qu’une participation directe dans la vente des produits fabriqués, parce qu’elle lui assure la récompense de ses efforts et lui permet de toucher immédiatement le salaire convenu. Cette rémunération du travail est de même nature que celle du capital; elle n’a rien d’humiliant, et l’on cherche en vain pour quel motif elle est si peu populaire aux yeux des travailleurs, qui préféreraient une association plus directe avec les entrepreneurs.

Nous venons avec M. Bénard de parcourir rapidement tous les systèmes socialistes qui se sont fait jour dans les réunions publiques, tout au moins ceux qui, ayant une certaine prétention scientifique, sont susceptibles d’être discutés. Quant à ceux qui ne reposent sur aucune théorie, qui n’ont d’autre origine que la vague jalousie que nourrissent un grand nombre des déshérités de la fortune contre ceux que le sort a favorisés, ils ne méritent pas de nous arrêter un instant. — Les socialistes qui déploient ouvertement leur drapeau, qui avouent le but qu’ils poursuivent, ne sont pas les seuls; il en est d’autres qui, n’ayant pas eux-mêmes conscience des principes sur lesquels ils s’appuient, sont d’autant plus dangereux qu’ils ne paraissent agir que dans un intérêt public. C’est ainsi qu’on a réussi à faire passer dans nos codes des dispositions qui, comme la loi sur la chasse ou comme l’établissement des droits protecteurs, touchent de bien près au socialisme. En quoi en effet le système protecteur, qui a pour objet de faire hausser le prix des produits de façon à assurer au fabricant une rémunération suffisante, diffère-t-il du droit au travail, qui veut garantir à chacun la possibilité de gagner sa vie en travaillant? L’un et l’autre ne s’adressent-ils pas au pouvoir pour lui demander d’intervenir dans les relations des individus entre eux et de gêner au profit des uns ou des autres la liberté des transactions? S’ils arrivent à des conséquences analogues, c’est qu’ils partent tous deux d’un même principe, qui est celui de toutes les écoles socialistes, et qui malheureusement a présidé à la rédaction de nos codes. Ce principe, c’est que la propriété est une création de la loi et non la conséquence d’un droit naturel. On voit tout de suite où conduit cette divergence dans le point de départ.

Si la propriété ne doit son existence qu’à la loi écrite, il est clair que, Comme elle l’a créée, la loi peut la supprimer ou tout au moins en modifier la jouissance. C’est pourquoi nous avons vu les classes moyennes, quand elles ont été maîtresses du pouvoir, constituer à leur profit des avantages dont le système protecteur et la loi prohibitive des coalitions étaient une expression peu déguisée; c’est pourquoi nous voyons aujourd’hui les classes laborieuses demander que, par une combinaison ou par une autre, la société leur garantisse des moyens d’existence, et franchement, étant donné le point de départ, ce raisonnement se comprend.