se doute bien que ces circonstances n’étaient pas propres à « faire aller, comme on dit, le bâtiment. » Aussi les maçons, les serruriers, les menuisiers, qui ne réclamaient pas, durent cependant se croiser les bras. Il en est des guerres industrielles comme des guerres politiques, elles atteignent et blessent les intérêts non-seulement des belligérans, mais encore des neutres eux-mêmes ; à tous, elles apportent la gêne ou la ruine. Les patrons finirent par capituler, et les ouvriers charpentiers eurent gain de cause. Ce fut la plus bruyante affaire de ce genre sous le règne de Louis-Philippe ; mais il y en eut bien d’autres analogues. Dans la seule année 1840, l’on peut enregistrer les grèves successives des tailleurs, des bottiers, des cordonniers, des menuisiers, des tailleurs de pierre, des ébénistes, des serruriers ; il y eut des rixes sanglantes. La grève des mineurs de Rive-de-Gier, en 1844, eut encore un plus triste dénoûment. Les grévistes usaient de violence contre les dissidens[1]. La troupe intervint et fit prisonniers les plus mutins ; les ouvriers voulurent délivrer leurs camarades, ils attaquèrent les soldats à coups de pierres ; ceux-ci usèrent de leurs armes, et plusieurs mineurs restèrent sans vie sur la place. On voit que le déplorable et lugubre événement de la Ricamarie avait eu un précédent presque dans les mêmes lieux et dans les mêmes circonstances ; mais l’expérience d’une génération est perdue pour une génération suivante. La Belgique, dans la même période, ne fut pas davantage à l’abri de ces crises. M. de Molinari nous apprend que, de 1840 à 1849, il y eut dans ce pays 435 ouvriers traduits devant les tribunaux pour délits de coalition ; 132 furent acquittés, 293 condamnés à la prison, et 10 à l’amende. L’Angleterre avait aussi largement sa part de ces émotions industrielles. M. le comte de Paris nous a décrit avec poésie ces grévistes anglais choisissant « une nuit obscure pour se réunir sur une de ces landes tourbeuses, appelées moors, qui couvrent les collines du centre de l’Angleterre. C’est là qu’on recueillait la souscription pour le fonds commun, c’est là qu’on préparait la grève qui devait éclater sans aucune apparence d’entente entre les ouvriers, c’est là qu’on leur distribuait des secours lorsqu’ils avaient quitté l’ouvrage, — et avant que le jour vînt éclairer ces innocens conspirateurs, avant que le cri matinal du grouse, seul habitant de ces vastes déserts, vînt attirer le chasseur sur son domaine, les archives de la société étaient soigneusement enterrées, et chacun reprenait le chemin de la cité voisine[2]. » Ainsi à une
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