regardés comme des rebelles, des traîtres, des déserteurs devant l’ennemi. Sous le règne de Louis-Philippe, l’on appelait les dissidens « Bourmont » et « Raguse ; » l’on allait d’ailleurs beaucoup plus loin que ces injures. En 1831, les ouvriers de Lyon parcouraient les ateliers, entraînant de gré ou de force ceux qui voulaient reprendre leurs travaux, coupant même sur le métier les chaînes des tisserands qui persistaient à travailler. En 1844, à Rive-de-Gier, les mineurs s’emparaient des dissidens, les promenaient dans les rues avec un écriteau sur les épaules et les accablaient de coups. En 1845, après la grève des charpentiers de Paris, les débats judiciaires firent ressortir cette révélation frappante d’un ouvrier opposé à la grève : « on ne nous dit rien maintenant, mais plus tard on nous blessera dans les chantiers, on nous fera tomber des solives sur le dos. » Les patrons d’ailleurs, quand ils y étaient poussés par l’exaspération, ne se montraient guère moins violons. Les maîtres charpentiers ayant eu une réunion, l’un d’eux proposa de céder aux ouvriers ; il y eut alors un tumulte indicible, il ne s’en fallut guère que ce conseiller malavisé ne fût jeté par la fenêtre. Tel est le caractère déplorable de ces luttes, qui sont presque des guerres sociales ; elles ramènent à la sauvagerie tous ceux qui y prennent part. Voilà quels étaient les procédés en usage dans ces duels industriels ; sont-ils abandonnés aujourd’hui ? A Genève, à Seraing, à la Ricamarie en 1869, la physionomie des grèves était exactement la même que vingt ou trente ans auparavant à Lyon, à Rive-de-Gier ou à Paris.
On ne peut cependant poursuivre jusqu’au bout ce parallèle. Malgré la conformité des apparences, les coalitions actuelles diffèrent singulièrement des précédentes par la gravité des désordres économiques qu’elles entraînent. Nous avons montré les transformations opérées dans l’outillage de la grande industrie, dans les voies de locomotion, dans les procédés commerciaux, dans les rapports internationaux. L’influence de ces transformations est immense, elle a complètement changé la situation relative des patrons et des ouvriers. C’était autrefois presque un axiome de la science économique qu’il y avait entre les salariés et les entrepreneurs une inégalité naturelle de conditions tout à l’avantage des derniers. La croyance que le capital est en mesure de faire la loi au travail, c’est-à-dire qu’il a les moyens de fixer les salaires à son gré et au-dessous du taux qu’exigerait l’équité, cette croyance est encore de nos jours universellement répandue ; l’autorité des plus grands noms entretient malheureusement ces préjugés, qui ne sont pas seulement des erreurs scientifiques, mais qui sont des fermens de discordes et de guerre sociale. « En tout genre de travail, a dit