principale, sinon l’unique cause de la grandeur politique des États-Unis.
En Amérique, le mormonisme n’a jamais été pris en sérieuse considération. Les hommes d’état qui se sont occupés de cette question, lorsqu’elle s’imposait à l’attention publique, l’ont toujours traitée avec ce dédain superbe que leur inspirait le sentiment de la force de la république. Ce petit mouvement religieux, grandement exagéré en Europe, ne les a jamais inquiétés ; ils le regardaient avec chagrin et pitié plutôt qu’avec colère, sachant que dans une société fondée sur la morale chrétienne, dans un état qui s’administre au nom de la liberté, un système religieux et politique invoquant les principes de la polygamie et du despotisme ne pouvait pas devenir dangereux. Ces hommes d’état, si prévoyans, si calmes, ne se sont point trompés ; le mormonisme s’achemine rapidement vers la décomposition, il déploie en ce moment même une activité plus qu’ordinaire, et ses missionnaires se multiplient. Il ne faut pas voir dans ce redoublement d’efforts un signe de puissance, et cette secte née d’hier n’en est pas moins fatalement vouée à une ruine proche et certaine. Peut-être quelques milliers de fanatiques donneront-ils au monde le spectacle d’une résistance qu’ils soutiendront jusqu’à la mort ; mais il est impossible de concevoir des doutes sur l’issue de ce combat, prévu et nullement redouté par les Américains.
On s’occupe de construire un embranchement de Salt-Lake-City à Ogden. Aujourd’hui, si l’on veut se rendre dans la ville des saints, il faut prendre la diligence à un endroit appelé Taylor’s-Mill, près d’Ogden ; elle conduit le voyageur par une route abominable à la ville décrite et représentée dans tous les ouvrages récens sur le far-west américain. Cette cité, qui doit sa fondation à Brigham, n’a cependant rien de bien remarquable, et ne répond, selon moi, que d’une manière très imparfaite à l’idée que l’on s’en fait généralement. Les rues sont larges, bien alignées ; mais elles ne sont ni pavées, ni éclairées au gaz, et l’entretien en est encore plus mauvais que celui de la plupart des villes américaines. Aussi la salubrité publique laisse-t-elle beaucoup à désirer, et les enfans y meurent-ils en grand nombre. Il n’est pas difficile d’être présenté au père des saints, Brigham Young. L’étranger fait alors connaissance avec un homme qui paraît ennuyé de la singulière renommée qu’on lui a faite, et qui, après avoir débité d’un air indifférent quelques phrases banales, adresse poliment deux ou trois questions sans autrement se soucier de la réponse qu’il reçoit, s’empresse enfin de reconduire son hôte jusqu’à la porte dès qu’il manifeste la moindre envie de le quitter. Cela s’explique, et l’on ne peut lui en vouloir. L’homme célèbre a dû grandement souffrir dans son amour-propre de l’avide et indiscrète curiosité des touristes ; mais, d’un autre côté, quel triste et affligeant spectacle présente dans sa personne