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direct, on a construit une ligne provisoire où les courbes nécessaires à la voie future sont remplacées par des angles, et qui, de sa forme brisée, ressemblant à la dernière lettre de l’alphabet, a pris le nom de Z. La façon de circuler sur cette voie en zigzag est ingénieuse et, autant que je sache, inusitée autre part qu’en Amérique. Les deux lignes parallèles, le sommet et la base du Z, dépassent la diagonale qui les unit de quelques centaines de mètres ; la diagonale, en vue des manœuvres à faire et que j’expliquerai tout à l’heure, s’étend également à une certaine distance au-delà du point de contact avec la base et le sommet. Supposé le train dans la situation où nous étions, c’est-à-dire au pied de la montagne ; il lui faudrait accomplir les manœuvres suivantes pour arriver au sommet : la locomotive dépasse le point où la diagonale atteint la ligne de base et s’avance jusqu’à celui où la dernière voiture du train est placée en face de ce même point ; un mouvement d’aiguille fait passer le train, la dernière voiture en tête, sur le tracé de la diagonale ; la vapeur est alors renversée, et la locomotive, en reculant, pousse le train sur la seconde branche du Z. Au bout de cette branche, on répète la même manœuvre en sens contraire, c’est-à-dire le train s’arrête lorsque la locomotive se trouve au point de jonction entre la diagonale et le sommet, et un nouveau mouvement d’aiguille place la locomotive sur le plan de cette dernière ligne, au bout de laquelle est la station de Wasatch. En théorie, cela est fort simple. Pour parcourir à l’aide d’une seule locomotive une voie ainsi brisée, il faut que la machine exécute trois manœuvres consécutives : qu’elle marche en avant jusqu’au sommet du premier angle, qu’elle remonte la seconde ligne en reculant, et qu’elle reprenne sa position ordinaire pour suivre la troisième. Afin d’apprécier les difficultés qui s’opposaient à l’exécution pratique de ce problème, il faut se souvenir que la voie ferrée ne traversait pas une plaine ; il s’agissait au contraire d’arriver, par une succession de rampes très raides, jusqu’au sommet du plateau.

Nous venions, non sans peine, de parcourir la première ligne du zigzag, base du Z, et il fallait pousser le train vers la ligne du sommet. La première tentative fut tout à fait infructueuse : au milieu du chemin, la locomotive s’arrêta impuissante. Tous les freins furent serrés pour empêcher les wagons de redescendre la pente rapide, et il y eut, autant que les voyageurs pouvaient en juger, une espèce de consultation entre le mécanicien et ses aides. Nous revînmes lentement jusqu’au point de départ. La locomotive ayant condensé une forte quantité de vapeur, nous tentâmes une seconde fois l’ascension. Nous partîmes grand train, nous franchîmes le point où nous avions fait halte ; mais bientôt notre marche se ralentit de plus en plus, et à une faible distance du sommet la locomotive