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est pas même représentée, et elle reçoit comme les autres églises une simple communication des décisions qui viennent d’être arrêtées. Si l’on ne peut contester que l’influence de l’évêque de Rome grandit sur les ruines de tous les pouvoirs poétiques au milieu des terribles bouleversemens qui signalent l’agonie et la destruction de l’empire d’Occident, il n’est pas moins certain que jamais aucune de ses décisions n’est acceptée comme suppléant aux décrets d’un concile ou comme empreinte du sceau d’une autorité indiscutable. Les conciles généraux des trois premiers siècles se considèrent toujours comme l’autorité souveraine en matière de doctrine et de discipline, et ils agissent en conséquence. Même quand le pape de Rome (Alexandrie avait aussi le sien, portant le même nom) est d’accord avec le sentiment général de l’église et l’exprime d’une manière correcte, la chrétienté n’en tient pas moins ses grandes assises, qui reprennent toute la question débattue pour donner la solution définitive. C’est ce qui a lieu au concile œcuménique d’Éphèse (431) pour la polémique soulevée par Nestorius malgré la condamnation dont le pape Célestin avait déjà frappé sa doctrine. Le concile de Chalcédoine (449) se croit obligé de ratifier la lettre de Léon le Grand, écrite à l’occasion de la controverse d’Eutychès, et le pape lui-même déclare qu’il a besoin de cette confirmation conciliaire. Nous ne relevons ces faits qu’au point de vue du droit antique de l’église, sans nous attacher aux doctrines mêmes. Le christianisme primitif fut singulièrement surchargé à cette époque d’une métaphysique subtile. Gibbon a dit avec raison que cette dogmatique tourmentée, imposée à l’église sous peine de condamnation éternelle, ressemblait beaucoup à ce pont étroit comme la lame d’un rasoir qui, d’après la mythologie persane, doit conduire les âmes en paradis. En tout cas, ce n’est pas le pape qui en tient les clés, et il n’a pas encore établi le droit de péage qui coûtera si cher aux libertés de l’église. Lui-même reconnaît qu’il n’est point compétent pour décider de la doctrine à lui tout seul. Le pape Siricius (384-398) refuse de se prononcer sur l’hérésie d’un évêque : il déclare qu’il doit attendre le jugement des évêques de la province pour en faire la règle du sien. Quand l’évêque de Rome, oubliant cette sage prudence, formule un jugement hâtif sur les opinions contestées, et se met en opposition avec les grands docteurs de l’époque, organes du sentiment général de la chrétienté, il est sévèrement réprimandé, comme le pape Sosime le fut par les évêques d’Afrique pour avoir donné des gages au semi-pélagianisme. Le pape Vigile fut même mis en dehors de la communion de l’église au second concile de Constantinople (551) pour ses vacillations dans les controverses du temps ; il dut se soumettre en déclarant qu’il s’était laissé prendre