Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

confectionner des vêtemens, si le froid les rend nécessaires ? Parfois une ressemblance dans les produits de l’industrie de peuplades fort éloignées a conduit à supposer d’anciens rapports ou une communauté d’origine, lorsqu’on aurait été dans la vérité en reconnaissant que les individus avaient obéi aux mêmes instincts sans avoir besoin d’aucune tradition. Partout l’intelligence se montre unie à l’instinct ; pas d’instinct possible sans une intelligence pour le diriger et le dominer. On a cru à deux sortes de phénomènes indépendans l’un de l’autre, faute d’avoir étudié d’une manière comparative les circonstances de la vie chez l’homme, les mammifères, les oiseaux et les insectes. L’intelligence a ses degrés, manifestes à l’égard des individus, beaucoup plus manifestes à l’égard des espèces, et de même que dans l’organisme la dégradation ou le perfectionnement ne porte pas toujours sur l’ensemble, mais seulement sur quelques parties, de même l’intelligence peut demeurer forte en quelques points et très affaiblie en d’autres points. Voir dans l’intelligence des animaux des réductions proportionnelles de la nôtre serait s’abuser étrangement. Buffon était aveuglé par une idée de ce genre en ne voulant reconnaître chez le castor qu’un instinct machinal, parce que ce mammifère n’a pas l’esprit du chien ou du renard. Le castor possède dans ses robustes dents incisives des instrumens propres à couper le bois, dans sa queue une véritable truelle, dans ses pieds de devant presque des mains. Il a tout ce qu’il faut pour bâtir, il a l’instinct de la construction, et son intelligence se montre admirable dans la série des actes que ses travaux exigent. Les castors choisissent l’endroit le plus convenable à leur établissement ; sur une rivière sujette à des débordemens, ils élèvent une digue avant de construire leur habitation ; ils se dispensent de ce travail sur un lac dont le niveau change peu ; ils coupent un arbre de façon à le faire tomber du côté de l’eau, c’est-à-dire du bon côté ; ils le taillent comme il convient ; les individus se partagent la besogne, l’un enfonce les pieux, l’autre applique le mortier ; ils parent aux accidens, à l’inondation. Quelle suite d’observations et de réflexions nécessaires ! Le castor a une spécialité, il possède une merveilleuse intelligence dans cette spécialité : hors de là, il est fort ordinaire, et certes, comme le remarque Buffon, il n’a pas l’esprit du chien.

Il est impossible de songer sans une sorte de terreur à quoi se réduirait l’intelligence d’un homme privé de tous les sens. Toutes nos idées ’sur le monde extérieur nous arrivent par leur intermédiaire. Chez les animaux, les mêmes sens existent à des degrés de développement très variables ; mais, pour apprécier avec une entière rigueur les nuances dans les impressions que peuvent transmettre les organes, d’immenses recherches sont indispensables ; elles