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montre fort intrigué en apercevant son image. Il approche, croyant voir un autre individu de son espèce, et, ne pouvant le toucher de son museau, il lance des coups de griffe contre le verre. L’obstacle reconnu, il va regarder derrière le cadre, et, n’y découvrant personne, il revient et recommence le même manège, toujours inutile ; puis, comme saisi d’une idée lumineuse, le corps frémissant, le poil ébouriffé, il se dresse contre le bord du cadre, envoyant des coups de pattes des deux côtés à la fois pour être certain de ne pas manquer d’attraper le mystificateur. Seulement, après s’être convaincu de l’inutilité de ses manœuvres, il abandonne la place, résigné à ne pas comprendre, à peu près comme un Arabe auquel on aurait voulu expliquer le système de la télégraphie électrique. Malgré tout, l’animal a fait preuve d’autre chose que d’un instinct machinal. On a mis en doute que les animaux eussent la conscience de leurs actes, et cependant, à défaut d’études sérieuses, la plus vulgaire observation devait à cet égard enlever toute incertitude. Un chien a été habitué à respecter les victuailles dans la maison qu’il habite, mais parfois il ne résiste pas à la tentation ; c’est toujours furtivement qu’il dérobe un bon morceau, et, s’il craint d’être surpris, il se sauve au plus vite comme un vrai larron. Dans une maison vivait un cobaye, c’est-à-dire un cochon d’Inde, animal d’une intelligence assez bornée. Le pauvre petit adorait les fruits, et au dessert de son maître, qui dînait seul plongé dans la lecture, on le mettait sur la table chargée de fraises, de poires ou de pommes. Il savait qu’il lui était interdit de rien prendre sans l’avoir reçu. A certains jours, s’il n’était pas promptement servi, la tentation devenait trop vive ; le moindre regard l’arrêtait, mais, impatienté d’attendre, il venait frapper de son museau le bras de son maître, et grimpait après lui en grognant, si l’appel semblait n’avoir pas été entendu. Des faits tout aussi concluans pourraient être énumérés presque à l’infini. Les sentimens, les passions, se manifestent chez les animaux sous tous les aspects. Un chien prend une personne en affection, une autre en haine, il a des préférences et des antipathies de toute sorte. Un perroquet reçoit les meilleurs traitemens de tous les membres de la famille qui se l’est attaché ; pour l’un d’eux, il n’a que des amitiés, des câlineries, des gentillesses ; avec un autre, il est réservé ; avec un autre, il est méchant. L’animal intelligent est dans ses amours plein de tendresse. Les jolis oiseaux chanteurs sont ravissans à contempler quand ils se font leurs agaceries ; l’émotion qu’ils éprouvent se traduit par toute sorte de signes, leur poitrine se soulève plus fort qu’à l’ordinaire, leur petit cœur bat plus vite. Le sentiment est l’apanage de toutes les créatures d’élite.

C’est se tromper beaucoup de croire que les animaux sont