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précoce et précurseur ? Raphaël, le vrai Raphaël, est déjà là tout entier, par son impulsion propre et par sa propre sève. En vérité, quand un pareil trésor vous tombe entre les mains, le laisser échapper, ce serait de la barbarie. Nous ne parlons pas seulement de cette sainte Catherine : l’enfant Jésus, le saint Pierre, le saint Paul aussi, bien que moins vivans et déjà presque un peu trop académiques, enfin la sainte Vierge, dont le type allongé ne manque ni de grandeur ni de pureté mystiques, ce sont là des beautés de franc aloi, indépendamment même de tout intérêt historique. Ajoutez-y la vigueur du coloris, la transparence des chairs, la hardiesse des empâtemens dans les draperies, une certaine intensité générale de ton qui semble faire pressentir les Vénitiens, et vous conviendrez que ce panneau central, non moins que le tympan, doit, malgré quelques taches, passer pour une des œuvres de premier ordre que tous les musées d’Europe doivent se disputer.

Nous ne comprenons qu’une seule objection à ce projet d’achat que nous nous permettons d’appuyer de nos vœux, et cette objection n’a point trait au tableau, ne conteste ni les beautés dont il abonde, ni les enseignemens qui en découlent ; elle est d’un tout autre ordre, et ceux qui la soulèvent, entre autres l’habile directeur d’une feuille qui fait autorité en de telles questions, la Gazette des Beaux-Arts, sont les admirateurs sincères, intelligens de cette œuvre d’élite, et souhaitent avec passion que notre musée en reçoive comme un glorieux complément ; mais voici ce qu’ils disent : « Pour un achat de cette importance, il faut qu’un crédit soit demandé à la chambre, à moins que la liste civile ne prenne la dépense entièrement à son compte, auquel cas l’objection disparaît ; mais si un crédit est nécessaire, qui le demandera ? M. le ministre des beaux-arts n’a pas les musées dans ses attributions ; sera-t-il en situation d’obtenir cette somme lorsqu’il ne pourra promettre ni surtout garantir à la chambre que le tableau une fois acquis ne sera pas exposé aux volontés capricieuses d’une administration sans contrôle, et qu’au lieu d’être offert au public comme un sujet d’étude et de travail, il ne deviendra pas, comme à Naples, l’ornement tout privé de quelque habitation princière ? » Pour motiver ce genre d’appréhension, ils n’ont pas même besoin de réveiller le souvenir du cercle impérial et des tableaux du Louvre servant à le tapisser : on pourrait dire que l’histoire est ancienne, que la leçon a été bonne, qu’on en profitera ; non, ils nous citent comme exemple des audacieux caprices qu’il y aurait lieu de redouter, ce qui, à l’heure même où nous écrivons, se passe dans le palais du Louvre, ce que le public ignore encore, ce que dans quelques jours, dit-on, il verra de ses yeux.

Un riche amateur de peinture a eu naguère l’heureuse et très honorable idée de léguer à notre musée une précieuse collection de tableaux du XVIIIe siècle acquis par lui avec amour et discernement pendant