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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/366

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Quelques obscurités, quelques invraisemblances ne peuvent affaiblir la vigueur du tableau. Ce qu’il y a de beau dans cette pièce, c’est la grandeur tragique de l’héroïne. En elle, le fort génie scandinave se déchaîne et rompt les digues comme un magnifique torrent des Alpes. Houlda a du sang de magicienne et de walkyrie dans les veines, sa passion concentrée prend naissance au plus profond de son âme et fait irruption dans la furie des sens par explosions volcaniques. Ses crimes ne sont que les éclats superbes d’une nature puissante qui ne souffre point d’obstacle. Elle s’est précipitée tout entière dans un fier amour pour un homme d’audace héroïque et de désir vaste comme elle ; avec lui, elle irait gaiment sombrer en plein orage, mais une fois trahie, et en cela encore elle est bien Scandinave, sa vengeance est implacable, l’amour pour lequel elle meurt et tue ne se rallume qu’à la flamme du bûcher.

Un mot encore des autres drames de Biœrnson. Entre les batailles est un curieux épisode des guerres du roi Sverre, plein de couleur locale, où ce monarque populaire apparaît en conciliateur, et qui lance le lecteur au beau milieu de l’enthousiasme guerrier de l’époque. Le roi Sigurd est également un personnage historique ; l’auteur en a fait une longue trilogie qui offre, comme tous ses drames, des passages hors ligne, mais il n’y a dans l’ensemble ni unité, ni enchaînement. Le héros, en se repentant à la fin, devient infidèle à son caractère. En général, Biœrnson a beaucoup à gagner pour la clarté de l’exposition et la logique des développemens. En ceci comme en beaucoup de choses, Corneille, Shakspeare ou Schiller peuvent lui servir de maîtres. Sa langue sobre, forte, pleine d’éclairs, est parfois énigmatique et trouble ; mais il a ce qui ne s’acquiert pas, un tempérament profond et puissant, la vigueur et le jet poétiques.

Ce tempérament, je l’ai dit, est la vraie nature scandinave, énergique, anguleuse, au fond riche et passionnée, qui, au milieu de ses rudesses, se montre tout à coup émue et comme captive d’un sentiment tendre ; pareille aux génies des eaux dans les ballades, elle ne résiste pas à la musique, devient humble et douce à ses accens. Ardent patriote, grand partisan du scandinavisme, Biœrnson a le culte de la Norvège. Il la compare quelque part à une aïeule qui prend ses enfans sur ses genoux, les berce de légendes et les mène aux tombeaux des héros ; puis la vision grandit et devient une divinité qui s’élève sur les montagnes, et dont le manteau, d’une clarté lunaire, flotte jusqu’au pôle. « Alors s’apaise la flamme de l’enthousiasme ; vénérable, elle nous baptise de son esprit, les hauts glaciers se colorent et flamboient rouges. Cette flamme sacrée nous dit : Soyez fidèles jusqu’à la mort. » C’est cette divinité qui l’inspira le jour où il composa son Chant du Wiking (roi de mer), où