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arches de l’aqueduc de Claude par derrière Santa-Croce, tout cela compose une des scènes les plus singulières qui se puissent voir, pleine de contrastes puissans, misérable et somptueuse, magnifique et dévastée, et sur cette scène rôde le génie de la solitude, qui parle là avec plus d’éloquence que je ne lui en ai trouvé nulle part ailleurs. La dernière fois que je suis allé à Saint-Jean de Latran, il avait plu dans la matinée ; le sol était détrempé, et sous la lumière pâle d’un ciel recouvert de grands nuages blancs ce paysage ne laissait apercevoir que l’aspect de la tristesse et de l’abandon ; à trois heures, au moment où je sortais de la basilique, un rayon de soleil, perçant tout à coup les nuages, se liquéfia pour ainsi dire dans l’air entier comme un or subtilement dissous, et aussitôt tout se mit à resplendir avec une gaîté et une jeunesse incomparables. Je m’arrêtai frappé d’admiration, croyant assister à un de ces miracles de résurrection dont nous entretiennent les légendes des saints. Lors de mes précédentes excursions, je n’avais vu là qu’une vieille reine, superbe encore sous ses rides et attestant par ses ruines mêmes sa beauté d’autrefois, et je me trouvais tout à coup en face d’une jeune magicienne qui me disait triomphante : « Comprends-tu cette fois la puissance des sortilèges par lesquels j’enchaîne les âmes ? Circé, Armide et Alcine furent de grandes enchanteresses ; mais, pour retenir leurs captifs, elles eurent besoin de somptueux palais et de délicieux jardins : à moi, il ne me faut rien que quelques pans de vieux murs, une plaine que hante la fièvre, et des fondrières où trébuchent les chevaux. Voilà où est mon génie : cette plaine où tu grelottes te retient immobile comme la statue de la femme de Loth ; ces fondrières où je te cahote avec une malice sans pitié te paraissent allées sablées, et dis-moi si les jardins d’Amathonte auraient jamais pu parler à ton âme avec autant de puissance que mon paysage à l’aspect de cimetière ! »


II. — SANTA-MARIA-IN-COSMEDIN.

Nombreuses sont à Rome les églises qui marquent la transition du paganisme au christianisme ; mais parmi celles-là aucune n’est aussi curieuse que Santa-Maria-in-Cosmedin, toute parée, à l’antique manière romaine, des dépouilles opimes enlevées aux temples païens[1].


Santa-Maria-in-Cosmedin est un musée vivant. C’est là une

  1. J’indique encore aux curieux la vieille église de Saint-Georges au Vélabre, église toute composée de pièces et de morceaux. Sur les seize colonnes qui la soutiennent, il n’y en a peut-être pas quatre qui appartiennent au même ordre d’architecture.