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sont des images auxquelles se rattache quelque souvenir miraculeux passé en légende, ou quelque opinion passée à l’état de croyance. Cette madone préserve de la fièvre, cette autre protège les femmes en couche ; quand on est dévot envers cette troisième, on gagne toujours à la loterie. La question de laideur et de beauté est d’un intérêt fort secondaire pour des images qui possèdent de tels pouvoirs. En outre l’obscurité et le vague ont toujours été chers au peuple ; il n’aime pas à connaître l’origine des choses qu’il doit respecter, en quoi il montre son grand bon sens. Pour qu’il adore une image, il est bon que l’auteur en soit inconnu, qu’elle ne porte aucun nom certain. Si cette image a été longtemps ignorée et que le hasard la fasse découvrir sous des décombres ou des toiles d’araignées, cela n’en vaut que mieux, parce qu’alors l’imagination n’est plus gênée par aucune origine. Les églises de Santa-Maria-del-Orto et de Santa-Maria-della-Scala ont même été bâties pour conserver deux de ces vénérables images, trouvées l’une dans un jardin et l’autre sous un escalier. Mais jamais on n’a vu le peuple adorer une image créée par un artiste célèbre, portant une date certaine, et, à bien considérer la chose, là serait le véritable sentiment d’idolâtrie. En effet, dans le culte d’une antique image sans auteur connu, le sentiment du respect est le seul qui soit ému, tandis que le culte d’une image créée par un grand artiste mériterait vraiment le nom de paganisme, cette adoration ne pouvant s’adresser qu’à la beauté extérieure de l’idole. La madone du Sansovino fait donc à cet égard une exception éclatante. D’où vient cette exception ? Cela ne peut tenir à sa beauté, bien que les Italiens soient plus sensibles à cet attrait que les autres peuples, car il y avait à Rome vingt images peintes et sculptées plus belles après tout que la madone du Sansovino. Piqué de curiosité, je me suis efforcé de découvrir d’où avait pu venir un tel sentiment. Ayant éprouvé le même attrait que le peuple, j’ai tâché de raisonner comme lui, et je suis arrivé à ce résultat, que, s’il a pris cette madone en vénération particulière, ce n’est pas pour sa beauté, c’est pour son grand air. J’ai dit que le caractère de cette Vierge était tout aristocratique ; les Romains ont pris plaisir à la prier parce qu’ils lui ont trouvé un aspect noble, et, comme nous dirions en France, une physionomie comme il faut. Ils se sont tenu instinctivement le raisonnement que voici : « celle-là n’est pas une belle paysanne, ou une jolie bourgeoise, c’est une vraie madame una vera madonna ; on le voit bien à ses grands traits et à ses longs doigts. C’est celle-là que nous devons prier, car elle doit être bien plus puissante que les autres auprès de Dieu pour nous faire obtenir ce que nous demandons. Une telle dame ne peut avoir qu’une très haute influence dans la cour céleste. » Ils l’ont