Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/556

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’auteur de ces réformes de les voir inscrites au Bulletin des Lois, il avait eu la prudence de ne pas triompher trop tôt, de s’interdire toute précipitation, afin de ne pas faire des cadeaux gratuits aux autres nations, notamment à l’Angleterre, qui profitait le plus de tous ces changemens. Sa lenteur calculée ne fut pas sans récompense; nos plus importans produits obtinrent des concessions au moins équivalentes à celles que nos voisins devaient rencontrer chez nous. En un mot, le succès fut complet. Ces nouvelles relations commerciales, ces remaniemens de nos tarifs, tant redoutés des uns, tant exigés des autres, s’accomplirent sans secousse et furent acceptés sans murmure par ceux même qui pouvaient en souffrir le plus. Les théories se tinrent pour averties qu’elles avaient encore à compter avec des faits respectables; l’industrie comprit de son côté qu’elle devenait d’un âge à se passer de protection, et qu’il fallait se préparer à voler de ses propres ailes. Des deux parts, l’émotion se calma, toute acrimonie disparut, grâce au discernement, au tact, à la mesure de celui qui avait tout conçu et tout organisé.

Je devais insister sur ces réformes et sur l’enquête qui en fut la base et la préparation, puisque c’est là, sans nul doute, le trait le plus saillant du passage de M. Duchâtel au ministère du commerce; mais il s’en faut que dans ces deux années il n’eût donné son temps qu’à des questions de douanes, et qu’il se fut comme enfermé dans ce cercle restreint. Sans parler de bien d’autres problèmes compris aussi dans son département, et par exemple de cette question des céréales qu’il sut à plusieurs reprises si nettement élucider, sans le suivre non plus dans tous ces engagemens de tribune qu’il soutenait sans cesse soit pour son propre compte, soit pour celui de ses collègues, la politique générale et les affaires du cabinet trouvaient à toute heure en lui, soit au conseil, soit à la chambre, une sollicitude aussi infatigable qu’éclairée. Par goût non moins que par devoir, l’esprit tendu sur la chose publique, il en faisait sa propre affaire. Dans ces crises trop répétées où la conduite de chacun était si difficile, nul n’avait l’œil plus exercé non-seulement à trouver sa route, mais à ne pas laisser les autres s’égarer. Nul n’était d’un conseil plus ferme et plus conciliant tout ensemble. Bien des fois, dans la première année, il en avait donné la preuve et avait dû gémir de cette instabilité; mais une satisfaction lui était enfin venue, et la combinaison qu’il désirait le plus avait, en se réalisant, presque assuré l’heureuse chance d’un pouvoir plus durable et vraiment affermi. Le duc de Broglie, qu’il avait vu avec tant de regret sortir du ministère le jour même où il y entrait, avait repris possession des affaires comme président du conseil. Le cabinet du 11 octobre s’était vraiment reconstitué dans ses conditions premières, et déjà le malaise, l’indécision, les tiraillemens, semblaient avoir cessé.