Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/558

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venu d’essayer de la concession. Il était sans illusion sur les doctrines de la gauche, ne s’en dissimulait pas les périls, et trop incliner vers elle lui semblait un danger infiniment plus redoutable que résister même un peu trop. Il se retira donc le 22 février 1836 avec MM. de Broglie et Guizot.

Pendant près de deux ans qu’il venait de passer aux affaires, sa situation avait notablement grandi. Non-seulement toutes les espérances conçues à son sujet s’étaient réalisées, mais on l’avait connu sous des aspects nouveaux. Il avait révélé des qualités de gouvernement, une aisance à traiter avec les hommes, une sûreté de commerce, une promptitude de coup d’œil, qui lui assuraient désormais en toute circonstance la position la plus considérable et la plus efficace influence. Aussi cette majorité qui, à ses débuts, l’avait comme adopté et porté au pouvoir, qui l’en voyait descendre avec regret et déplaisir, sembla redoubler pour lui de bienveillance affectueuse. A peine avait-il repris sa place sur son banc comme simple député, qu’il fut spontanément élu vice-président, faveur qui s’adressait sans doute principalement à sa personne, mais qui n’en était pas moins presque en contradiction avec le vote de la veille, et qui n’annonçait pas au nouveau ministère une carrière facile ni de longue durée. Le cabinet se soutint tant que la chambre fut réunie, grâce à l’appui toujours un peu précaire d’une partie de l’opposition; mais la session finie, six mois à peine après le 22 février, la couronne et ses conseillers tombèrent en désaccord. Ceux-ci prétendaient tous, à l’exception d’un seul, que la France devait intervenir à main armée dans les affaires d’Espagne; la couronne s’y refusait absolument. De là des démissions offertes, acceptées, et une combinaison nouvelle formée, le 6 septembre 1836, sous les auspices de M. le comte Molé. Dans ce cabinet, qui par malheur ne devait aussi durer que six mois environ, M. Guizot avait simplement repris possession de son ministère de l’instruction publique; M. Duchâtel au contraire ne rentra pas au commerce, où les questions de douane, tout récemment réglées, ne laissaient, pour un certain temps, rien d’important ni de neuf à résoudre, tandis qu’il y avait aux finances, sinon de grandes réformes, du moins de fécondes mesures, d’utiles innovations à tenter.

Ce fut donc comme ministre des finances qu’il fit sa rentrée aux affaires. Cette seconde phase de sa vie ministérielle devait n’être pas moins heureuse que la première, et lui faire, j’ose dire, même encore plus d’honneur. Pour ma part, j’ai toujours regretté qu’elle eût été si courte, et que les circonstances n’eussent pas permis qu’elle se renouvelât. Personne assurément n’était en mesure comme lui, par ses dons naturels et par sa position, de remplir, à la satisfaction de son parti, ce poste si difficile, le ministère de l’intérieur,