Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/560

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je ne veux certes pas dire que, si les deux puissans orateurs qui, pendant ces dix-huit années, se sont livré tant d’illustres assauts, n’avaient pas tour à tour, l’un aussi bien que l’autre, pris possession par préférence de notre foreign office et n’en avaient pas fait leur terrain de bataille, la monarchie que tous deux ils voulaient servir serait encore debout; mais bien des passions qu’allumait cet éclat se seraient calmées peut-être, surtout si la même éloquence, la même émulation, avaient vivifié et mis dans tout leur lustre d’autres questions moins attrayantes et plus modestes, mais autrement vitales et à coup sûr plus opportunes. Tout au moins aurait-il fallu, au plus fort de la lutte, vers 1840, donner pour interprète à ces questions quelque jeune et vigoureux esprit, vif, alerte, éloquent à force de clarté, apte à les faire comprendre, à les mettre en lumière sous leurs plus grands aspects au lieu de les laisser languir en second ordre et comme à l’arrière-plan. Ce qui devait être l’honneur et le salut du règne n’en fut que l’embarras ou l’accessoire vulgaire. Les finances firent parler d’elles, mais tantôt par les raideurs fiscales qui furent presque un péril en 1841, tantôt par les habiletés stériles de l’esprit de comptabilité substitué à l’esprit de finance, pendant que d’un autre côté l’essor de l’industrie privée demeurait à la chaîne sous la domination d’un corps privilégié, exigeant, ombrageux, voulant tout faire, faisant le moins possible et nuisant à qui voulait faire. Or c’étaient à la fois et nos travaux publics et nos finances que j’aurais voulu voir tour à tour, et mieux encore, de front et simultanément, sous l’impulsion d’un homme vraiment prédestiné à cette double tâche. Si ces deux grandes sources de vie et de progrès s’étaient pour quelque temps concentrées sous sa main, dirigées et gouvernées par lui, je ne voudrais pas répondre, tant il en serait sorti d’effets inattendus, que bien des chances désastreuses n’auraient pas pu en être conjurées.

Ce n’est pas là de ma part une simple conjecture. En plus d’une occasion, bien que ministre de l’intérieur, M. Duchâtel dut prendre une part active à des débats de finances ou de travaux publics, et chaque fois avec une autorité, une largeur de vues, une abondance d’idées, qui laissaient voir ce que ces grands intérêts auraient pu devenir sous sa direction immédiate et constante, si au lieu de n’en parler que par hasard et comme au dépourvu, pour pallier une faute ou soutenir un projet en détresse, il avait étudié lui-même les questions, préparé, combiné les projets qu’il aurait dû défendre. J’ai d’ailleurs une preuve encore plus directe, qui justifie mes regrets et les absout de tout soupçon d’hyperbole : c’est son passage, si court qu’il fût, au ministère des finances, c’est l’usage qu’il y fit de son temps, l’action qu’il y exerça, les souvenirs qu’il y laissa, les traces qui en sont restées.