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vînt presque léger à celui qui l’avait accepté, et pour que cette troisième phase de sa vie de ministre ne fût pas moins heureuse, moins en progrès que les deux autres. À la tribune, au conseil, aussi bien que dans ses salons, son influence allait croissant, et le rapprochement des fractions divisées de l’ancienne majorité semblait sous ses auspices s’opérer de lui-même ; mais l’existence du cabinet n’en était pas moins chancelante. C’était un composé d’excellens élémens qui, pris à part, inspiraient presque tous confiance au public, et dont l’ensemble avait une apparence fragile et provisoire. La direction manquait, chacun dans son domaine était actif et vigilant ; sur le terrain commun, on se laissait surprendre, témoin ce vote étrange, inexplicable, silencieux, qui, le 20 février 1840, fit sombrer du même coup la dotation demandée pour un prince et le cabinet qui l’avait proposée. La moindre discussion préalable eût évité l’échec en démasquant l’embûche et ramené, sinon toutes les voix prêtes à se déplacer, du moins plus que le nécessaire pour n’être pas battu. Personne ne parlant, le cabinet craignit de paraître agresseur en rompant le silence. Le piège était bien dressé. Aussi la confusion fut grande après le dépouillement du vote. Ceux qui avaient fait le coup sciemment et par malice souriaient et se frottaient les mains ; les dupes et les crédules, dans la consternation, se frappaient la poitrine et prétendaient offrir au ministère telle revanche éclatante, tel vote qu’il aurait voulu. Duchâtel coupa court à ces promesses équivoques ; il déclara que, fût-il seul à se retirer, il se retirerait. Ses collègues n’étaient pas moins décidés que lui ; ils repoussèrent toute transaction, et la couronne dut chercher des ministres.

C’était encore un assemblage d’élémens plus ou moins divers qu’il s’agissait de combiner, puisque aucune section de la chambre n’était par elle-même assez forte pour composer un ministère et surtout pour le soutenir ; mais les opinions voisines de la gauche allaient fournir cette fois le plus gros contingent. Le mouvement s’accélérait. Dans le cabinet du 12 mai, les parts étaient encore égales, l’opinion conservatrice avait moitié des portefeuilles ; elle n’en eut pas le quart dans la combinaison du 1er  mars : — deux ministres sur neuf, pas davantage, — et encore un de ces deux ministres ne cherchait guère à se donner pour un représentant fidèle et obstiné des traditions du centre droit. C’était pourtant de ce côté que les voix, à tout prendre, étaient encore les plus nombreuses, et, pour ne pas tomber absolument à la merci de la gauche, le cabinet avait besoin, surtout à son début, de ne pas les perdre toutes. Il en garda un certain nombre, grâce au duc de Broglie, qui dès l’abord avait encouragé et patronné la présidence de M. Thiers, grâce aussi à M. Guizot, qui, à peine arrivé à Londres comme ambassadeur de la précédente administration et entré en fonctions seulement de la