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deux partis monarchiques qu’il s’agissait de fondre. Sans un grain de nouveauté, point de succès en ce monde, et rien n’était plus vraiment neuf, moins usé et plus probablement fécond que cette tentative de fusion qui consistait à faire abdiquer de part et d’autre toutes prétentions exclusives et à se faire de mutuelles concessions. Il y eut dans les deux camps des esprits politiques qui comprirent cette nécessité et qui l’acceptèrent sans réserve. On vit les plus fidèles amis de la monarchie héréditaire proclamer que le droit traditionnel sans l’assentiment national n’était que lettre morte, et que si le prince qu’ils appelaient de leurs vœux montait jamais au trône de ses pères, il ne daterait son règne que du jour où il deviendrait roi, et ne se donnerait pas pour octroyer le pacte qu’il jurerait de maintenir ; mais, ce que la saine raison conseillait à ceux-ci, la passion le défendait à d’autres. L’instant était critique : on approchait de cette année 1852 où la possibilité légale de réviser la constitution ouvrait un libre champ aux plus diverses tentatives. Le rappel de tous les princes en exil spontanément voté par l’assemblée pouvait déterminer un immense mouvement d’opinion et changer les destinées de la France. Par malheur, l’égoïsme et l’aveuglement l’emportèrent : on hésita, on se tut, on s’abstint, et la dictature triompha.

Il fallait s’y attendre, et Duchâtel en ressentit plus de regrets que de surprise. Tout en restant fidèle au but qu’il poursuivait, sa perspicacité n’avait pu méconnaître que dans les deux partis monarchiques c’était le courant contraire à ses espérances qui gagnait du terrain, et dès les premiers jours de mars 1851, une fois manquée l’occasion décisive, souvent je l’entendis, avant même que la tribune eût retenti de ces mots prophétiques, dire entre nous : L’empire est fait. Ce fut alors qu’il ressentit vraiment, sans cependant jamais s’en plaindre, le changement survenu dans sa vie, ce vide, ce néant que le soin de sa sécurité, les soucis de l’exil, la crise sociale, les dangers du pays, puis la poursuite et les péripéties d’un généreux dessein lui avaient d’abord plus ou moins déguisés. L’illusion désormais devenait impossible, un infranchissable fossé le séparait de la vie politique, et lui interdisait, pour un temps sans limite, toute participation au gouvernement de son pays. Résolu à faire bonne contenance et à se garantir du découragement, il dut chercher quelques nouveaux moyens d’occuper l’activité de son esprit et de remplir sa vie. Sa grande fortune semblait une ressource ; mais le soin de l’administrer, bien que toujours il s’en fût chargé seul sans reculer devant aucun détail, ne lui avait jamais pris, quand il était dans les affaires, qu’une mince partie de son temps. Allait-il s’y appesantir maintenant qu’il en serait libre ? Non, l’habitude était prise ; en un clin d’œil, il avait étudié les plus grosses questions, pris son parti, expliqué ses idées, dicté ses ordres, expédié ses réponses ; ce