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s’entendre sur la conduite à tenir. Les uns disent : Commençons par nous donner ; coalisés avec les états du nord, nous contraindrons la Prusse à compter avec nous. D’autres, plus nombreux, leur répondent : — Dieu nous garde d’une telle imprudence ! Commençons par faire nos conditions à la Prusse, par lui demander des garanties, — à quoi les premiers répliquent, non sans raison, qu’il est de l’essence de la politique prussienne de dicter des conditions et de n’en point accepter, — que M. de Bismarck croirait acheter à trop haut prix l’accession des états du sud, si elle le condamnait à modifier sa constitution fédérale, cette savante machine construite pour certaines fins, et dont on ne saurait relâcher les ressorts sans tout compromettre. D’autres enfin, plus indifférens ou plus naïfs, estiment qu’il faut se donner sans conditions, parce que tout est bien, parce que la confédération du nord est une vraie confédération, parce que la Bavière et le Wurtemberg n’auraient rien à désirer, si on leur faisait le même sort qu’à la Saxe, dont l’indépendance, en dépit des méchants propos, ne court aucun danger. Ces naïfs, à la vérité, sont rares dans le midi. Du lac de Constance jusqu’aux bords de l’Inn, on raconte aux petits enfans l’histoire de Waldeck.

Le parti grand-prussien est tenu en échec dans le Wurtemberg et la Bavière par une majorité peu disposée à transiger avec lui, et qui est elle-même une combinaison d’élémens divers. On y trouve rassemblés et associés des conservateurs dont le principal mobile est le sentiment dynastique, des patriotes qui tiennent à leurs souvenirs et à leurs traditions, des catholiques qui se défient beaucoup des avances que leur fait Berlin, des constitutionnels qui ne croient pas à la constitution prussienne, des démocrates qui ne sauraient se contenter des libertés berlinoises. Si différentes que soient leurs visées, ces hommes ont une passion commune : ils désirent la chute de Babylone et le rétablissement de Jérusalem.

Depuis 1866, plusieurs circonstances ont accru et renforcé cette majorité. Le prestige des grandes victoires diminue avec le temps ; on les commente, on les explique, on fait sa part à la fortune. Les sudistes sont frappés aussi de ce que les populations annexées restent hostiles, de ce que la Prusse a quelque peine à digérer ses conquêtes. Sa résignation dans l’affaire du Luxembourg leur a fait quelque impression ; sa politique, jadis étourdissante d’audace, leur paraît plus tâtonnante, moins sûre de son fait. — On ne sait plus très bien ce que veut la Prusse, disait un politique du sud, et ce qu’elle est capable d’oser. — Il faut mettre encore en ligne de compte la transformation qu’a subie l’Autriche, la popularité qu’elle a reconquise par son libéralisme, qui donne lieu à des comparaisons peu flatteuses pour Berlin. Il ne faut pas oublier non plus la sagesse de