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ne lui manquaient pas, fut continuée jusqu’à la fin par lui seul. Qu’il fût à Londres ou en Écosse, où il lit. de longs séjours, chaque numéro n’en paraissait pas moins avec la régularité voulue. Les controverses que Defoe soutint contre ses adversaires en maintes occasions, de gros ouvrages qu’il écrivit dans le même temps, ne le détournèrent pas du labeur continu qu’il s’était imposé. Ce travail gigantesque n’a cependant contribué en rien à sa réputation. Qu’irait-on rechercher aujourd’hui dans un vieux journal d’il y a cent cinquante ans? Tout au plus exhumerait-on de cette volumineuse collection des récits piquans sur les personnages ou de fines appréciations sur les événemens contemporains; encore est-il probable que le nom de l’auteur ferait plus pour le succès de ces extraits que le mérite intrinsèque qu’ils présentent[1].

Il n’y avait pas longtemps que durait l’emprisonnement du pauvre journaliste lorsqu’un changement de ministère vint donner un autre cours à la politique de l’Angleterre. Faible et bonne, la reine Anne a vécu, depuis le commencement jusqu’à la fin de son règne, au milieu de révolutions du palais. Cette fois c’étaient les whigs, conduits par le duc de Marlborough et lord Godolphin, qui l’emportaient. Ils étaient en principe favorables à la liberté de conscience, et se gardaient par conséquent de persécuter les dissidens. Au nombre des nouveaux ministres se trouvait Harley, naguère président de la chambre des communes et l’un des protecteurs de Defoe. Il ne pouvait choisir de meilleur exemple que le procès de son ami pour montrer à la reine quelle avait été, depuis quelques années, l’intolérance de la haute église. Aussi le pamphlétaire eut sa grâce ; il sortit de prison ruiné, harcelé par ses créanciers, haï de ses adversaires politiques, mais par compensation fort de l’amitié des puissans du jour.


II.

Il entrait dans la vie officielle ; malheureusement c’était par une mauvaise porte. Il l’a dit lui-même avec une demi-franchise qui se prête à des interprétations fâcheuses. Il écrivait en effet dix ans plus tard : « Après m’avoir délivré de la détresse où j’étais, sa majesté, qui ne trouvait pas que ce fut assez d’un seul acte de générosité, eut la bonté de me prendre à son service. Je fus chargé, par l’in-

  1. Selon M. Lee, qui a recueilli avec un soin extrême les moindres opuscules de Defoe, il n’existe plus en Angleterre qu’un seul exemplaire complet de la Revue. A dire vrai, le XVIIe siècle avait déjà vu en France, en Italie, en Allemagne, et en Angleterre même, des feuilles périodiques, gazettes, nouvelles à la main; mais c’étaient de simples chroniques qui n’avaient pas la prétention d’arborer un drapeau politique.