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dictature qui remettrait tout en question, et on a certes sagement agi en écartant ce danger, en effaçant ce dernier vestige de droit constituant et d’omnipotence, en épargnant à tout le monde cette tentation périlleuse. Est-ce à dire que le pouvoir constituant enlevé au sénat doive aller se réfugier dans le corps législatif, et dans le corps législatif seul, comme l’a proposé M. Jules Favre avec ses amis ? Ce serait une exagération d’un autre genre, ce serait tout bonnement une autre forme de dictature. M. Jules Favre a l’esprit trop pénétrant pour n’avoir pas été le premier à sentir la faiblesse de sa proposition, et peut-être, comme on dit, ne demandait-il le plus que pour avoir le moins.

Le pouvoir constituant n’est plus désormais ni dans l’autorité du souverain, ni dans le sénat, ni dans le corps législatif. À qui appartient-il donc ? où réside-t-il ? Mon Dieu, c’est un de ces points qu’il ne faut jamais serrer de trop près, surtout en certains momens. Qui peut dire au juste comment se manifeste le pouvoir constituant ? Il est partout, et il n’est nulle part. Depuis bientôt un an, où a-t-on pu le saisir sous une forme précise ? Et cependant il est certain qu’il est dans l’air, il s’exerce avec quelque énergie, il est la force génératrice des réformes qui s’accomplissent. En fin de compte, il est bien clair que dans un pays où la souveraineté populaire est le principe de tout, où la monarchie elle-même a pour fondement le suffrage universel, le dernier mot du droit constituant appartient à la nation, et le mieux est peut-être d’en parler le moins possible, de ne pas trop prétendre organiser ce qui échappe souvent à toutes les prévisions. C’est ce qui fait que les meilleures constitutions sont les plus courtes, parce qu’en mettant à l’abri ce qu’on est convenu de ne point mettre en discussion à tout instant, elles laissent la porte ouverte à un travail permanent de réforme. C’est bien là aussi ce qu’on a essayé de réaliser dans le sénatus-consulte récemment présenté. On a élagué une multitude d’articles d’un ordre véritablement secondaire dans une loi fondamentale, et on s’est borné à imprimer le sceau de l’invariabilité à quelques points essentiels, sur lesquels la nation seule aura une souveraine juridiction. En un mot, on a élargi le domaine législatif en resserrant la sphère constitutionnelle, dans la pensée de concilier la stabilité des institutions avec le mouvement naturel des choses. Sous ce rapport, le sénatus-consulte est certainement l’œuvre d’une juste et prévoyante inspiration.

L’œuvre en elle-même est bonne et libérale, nous en convenons ; elle est seulement obscure et incomplète en certaines parties, même un peu inconséquente en d’autres. Cette constitution concentrée et réduite qu’on nous donne comme le traité d’alliance définitif de l’empire et de la liberté, cette constitution ne pourra désormais être modifiée que par un plébiscite, et l’empereur seul a le droit de provoquer ce plébiscite. Or c’est là justement ce qui aurait besoin d’être un peu éclairci, et nous nous expliquons maintenant ce mot d’un sénateur au sortir de la séance