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pagne et une cartouchière suspendue au col et à la ceinture. Il avait fallu sept ans pour faire adopter cet équipement, destiné à devenir un jour celui de toutes les troupes à pied, parce qu’il est le plus propre à la mobilité, premier besoin de la stratégie et de la tactique modernes. Encore ne serait-on pas si tôt parvenu à vaincre la routine, s’il n’avait pas fallu, dans cette expédition, débarrasser le soldat d’une partie de son incommode accoutrement pour lui faire porter, sans dépasser les forces humaines, outre son fusil et son sac, 60 cartouches, huit jours de vivres et un fagot de 4 livres, pouvant servir, avec un grand bâton tenu à la main, à faire trois fois cuire la soupe.

Après avoir extrait des rangs déjà très peu nombreux de l’infanterie une garnison pour Medjez-Amar, qu’il importait de mettre à l’abri d’un coup de main, et prélevé des auxiliaires pour le génie et l’administration, dont les conducteurs et les infirmiers étaient enfermés dans le lazaret de Bône, à peine restait-il 6,000 baïonnettes. Pouvait-on, avec si peu de troupes, garder contre le dehors et le dedans toutes les positions du siège, en même temps que travailler et prendre la place? Ce n’était même pas assez pour l’escorte des bagages, grossis outre mesure par la faiblesse même de l’infanterie, qui rendait impossibles les détachemens et les convois successifs, et obligeait à tout emporter avec soi de prime abord.

Les parcs de l’administration, de l’artillerie et du génie comptaient seuls 300 voitures et 600 mulets de bât. Chaque voiture, avec sa distance, occupait au moins 10 toises; c’était 3,000 toises ou une lieue et demie de long à garder des deux côtés, dans les parties de la route où les voitures ne pouvaient marcher que les unes après les autres. Faites ensuite la part de l’allongement naturel de la colonne, de l’inexpérience et de l’indocilité de conducteurs improvisés, du désordre des cantiniers et transports irréguliers de toute espèce qu’on avait été heureux de laisser s’adjoindre à l’armée, et songez que cette lourde ville ambulante, rappelant les armées de chariots des invasions barbares, avançait en plaine seulement d’une demi-lieue par heure, quoique la sagesse du sous-intendant d’Arnaud eût réduit tous les chargemens ! Pour défendre cet immense convoi, qui renfermait un peu de tout, même un institut scientifique, et qui ne portait que pour sept jours de vivres, il eût été indispensable de le parquer et de s’arrêter. Il dépendait du bey Achmed de condamner, par une attaque sérieuse, son ennemi à l’immobilité et de le mettre ainsi à l’amende d’un ou de plusieurs jours de vivres, c’est-à-dire de diminuer d’autant la durée du danger qui menaçait Constantine; mais l’indolent Achmed ne comprit pas que, de tous les besoins des Français, le temps était le plus