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nature ou la supériorité de leur sagesse. Quant aux Écritures, pour cette nouvelle église, tout grand ou beau livre est une bible; il suffit qu’il réponde à ce qu’il y a de plus pur, de plus saint dans la conscience de chacun. C’est bien toujours l’âme du Christ qui fait la vie religieuse des nouveaux chrétiens; mais entre elle et eux nul intermédiaire, nul enseignement traditionnel, nulle autorité qui impose ses décisions. Plus de pape, ce n’est point assez dire; plus de concile, plus de synode, plus de symbole même convenu entre tous. C’est le règne de cette divine anarchie dont la primitive église n’avait été qu’une très faible image, et qui est l’idéal même de toute société vraiment spirituelle.


IV.

On voit ce que devient le christianisme, de simplification en simplification, depuis la réforme jusqu’à nos jours, de même qu’on a vu ce qu’il était devenu, de complication en complication, depuis son avènement jusqu’à la réforme. Ce double spectacle fait naître des réflexions bien différentes, selon qu’on le contemple en chrétien orthodoxe, en chrétien libéral, ou en historien. Où le chrétien orthodoxe ne trouve qu’à admirer dans la période ancienne de l’histoire de cette religion et à déplorer dans la seconde période, où le chrétien libéral, au contraire, ne trouve que des regrets pour l’une et des espérances pour l’autre, l’historien philosophe s’attache à comprendre et à expliquer tout ce qu’il y a de nécessaire dans ce double mouvement en sens contraire de la pensée religieuse. Avec le chrétien orthodoxe, il accepte le dogme entier, non plus comme une seule et même révélation dont toutes les parties sont également conformes à l’idéal même du christianisme, mais comme une succession de doctrines correspondant chacune à une fatalité historique de son existence. Laissant au croyant libéral le point de vue de l’idéal, et s’en tenant, en sa qualité d’historien, au point de vue da la réalité, il trouve que le christianisme, eu égard à l’état des sociétés qu’il devait conquérir, ne pouvait le faire qu’en s’accommodant aux instincts, aux besoins, aux habitudes, aux nécessités de la nature humaine, à tel ou tel moment de son histoire. C’est ainsi qu’il comprend comment, pour devenir une religion dans le sens positif du mot, il a fallu que le christianisme passât de la morale de Jésus à la théologie de Paul, comment, pour devenir la religion de la partie la plus métaphysique et la plus mystique de la société ancienne, il a fallu qu’il passât de la doctrine de Paul à la haute théologie de l’Évangile de Jean et du symbole de Nicée. C’est ainsi enfin qu’il comprend que, pour devenir la religion du moyen âge, il a dû descendre