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ici les avis motivés des facultés et des conseils académiques, ils ne font que corroborer l’appréciation des ministres[1].

Voici en peu de mots les inconvéniens du système actuel. Il nuit à la dignité du corps enseignant, car la loi elle-même le met en suspicion. Elle semble douter de sa bonne foi, puisqu’elle soumet les professeurs de l’état à la surveillance des professeurs des institutions libres et réciproquement. Les représentans de deux universités qui ont des opinions et des intérêts différens étant mis en présence, ils s’entendent ou trop bien ou trop mal. Dans le premier cas, on aboutit, pour le choix des questions et l’appréciation des réponses, à une indulgence telle que l’examen devient illusoire, et qu’autant vaudrait le supprimer. Dans le second cas, il y a des luttes ardentes, des débats passionnés ; le professeur est amené, malgré lui, à se faire l’avocat de ses élèves au lieu d’en être le juge. Le jury se partage en deux camps hostiles, et c’est la voix du président seul qui décide, quoiqu’il ne puisse connaître suffisamment les différentes branches qui ont fait l’objet de l’examen. Pour que les universités libres subsistent, il leur faut avant tout des succès réels ou apparens, il faut enfin que leurs élèves n’échouent pas. Les universités de l’état, dont le sort est assuré par le budget, pourraient oublier l’intérêt d’argent et ne considérer que celui de la science ; mais à moins d’être injustes, et de l’être à leurs dépens, elles ne peuvent se montrer plus rigoureuses que leurs rivales, et ainsi c’est l’appréciation la plus complaisante qui l’emporte. L’indulgence d’une moitié du jury entraîne nécessairement l’indulgence de l’autre moitié. Le jury combiné tue le haut enseignement, parce qu’il lui ôte ce qui fait sa force et sa vie, l’originalité des doctrines, la nouveauté des aperçus, la personnalité des opinions. Un enseignement fait dans cet esprit préparerait l’échec de l’élève, tandis que des lieux-communs inattaquables assureront son succès. Le professeur se gardera d’exposer des idées qui pourraient donner lieu à contestation. Il ne sortira pas des questions banales ; mais celles-là, il les exposera dans tous leurs détails, avec clarté et méthode, afin que l’étudiant puisse répondre imperturbablement. Le travail du maître consistera donc à préparer l’étudiant à l’examen ; le travail de l’élève à avoir des cahiers complets et à les savoir par cœur. Dans certaines institutions, on a été jusqu’à dicter des formulaires. Toute science est ramenée ainsi à la forme d’un catéchisme, et la mémoire prend la place de l’étude et de la réflexion. Le professeur est obligé chaque année de suivre le même programme et de par-

  1. Ils ont été publiés dans le rapport triennal sur la situation de l’enseignement supérieur, déposé en 1853 par le ministre de l’intérieur, M. Piercot. Ils méritent d’être consultés par les personnes qui veulent étudier la question sous toutes ses faces.