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LA QUESTION OUVRIÈRE.

professions sont accessibles à tous. Encore le stage des avocats et des médecins n’est-il nullement prescrit en considération des personnes déjà engagées dans ces carrières, c’est dans l’intérêt du public et surtout des classes les moins éclairées qu’on l’exige. Fidèles à la logique, les ouvriers unionistes poussent jusqu’aux mesures les plus extrêmes le principe de la restriction de la concurrence. Ici, l’on déserte deux ateliers parce que les patrons emploient leurs propres fils ; là, une union d’ourdisseurs ne permet pas à la femme et aux sœurs d’un de leurs membres d’ourdir, sous prétexte que les règlemens interdisent ce travail aux femmes. Ailleurs, des perfectionnemens mécaniques ayant facilité certains travaux, les maîtres avaient cru pouvoir les confier à des enfans ; ils avaient compté sans les unions, qui voulurent les maintenir à des hommes faits. Les associations les plus éclairées se rendent complices de ces abus de pouvoir. Le secrétaire des mécaniciens fusionnés déclara dans l’enquête que, depuis dix ans, une des principales causes de querelles avec les patrons était le fréquent emploi d’enfans. Or il ne faut pas oublier que les prodigieux perfectionnemens survenus dans la fabrication des machines y rendent beaucoup d’ouvrages très faciles et peu fatigans.

Le travail à la tâche est également attaqué et prohibé par beaucoup de trade’s unions, et en particulier par les plus puissantes et relativement les plus éclairées de ces sociétés, celles des ouvriers en bâtimens et celles des mécaniciens. Ce serait faire injure au lecteur que d’exposer ici les raisons qui font du salaire à la tâche le mode de rétribution le plus parfait et le plus avantageux à la fois aux ouvriers, aux patrons et à la société tout entière. On parle beaucoup depuis quelques mois d’associer les travailleurs aux profits des patrons ; or le travail aux pièces est une forme de cette participation aux bénéfices, mais les unionistes sont d’un avis contraire. Il n’est pas de sophismes qu’ils n’emploient pour justifier leurs préventions contre ce mode perfectionné d’organisation de l’industrie. Ils allèguent que le travail à la tâche pousse les ouvriers à l’intempérance, qu’il rabaisse la main-d’œuvre et produit de mauvais ouvrage. Il se trouve des écrivains de talent, comme M. Thornton, pour appuyer ces préjugés, en dépit de l’évidence et de l’accord unanime des industriels, qui n’ont pourtant aucun intérêt à avoir des ouvriers débauchés et du travail mal fait. Nous regrettons que M. le comte de Paris semble donner sur ce point gain de cause aux réclamations des unionistes. « Pourquoi le paiement à la journée serait-il si mauvais, disait un ouvrier devant la commission d’enquête, puisque, depuis le premier ministre de sa majesté jusqu’au dernier mousse de la marine royale, tous les employés de l’état sont payés à la journée, et n’en remplissent pas moins bien leur devoir ? » Cette