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abolies, afin de livrer les travailleurs pieds et poings liés à la féodalité financière… Loin de se haïr comme les corporations féodales, les corporations nouvelles se donnent la main les unes aux autres, et tendent à réaliser un vaste plan de fédération ouvrière représentée par un véritable parlement ouvrier… Leur but est non pas d’amener le capital à composition, mais de l’exclure et de lui substituer le capital collectif de la fédération ouvrière. » Le même document avoue les défaites de la première heure. « On peut dire que, pour le moment, l’ère des grèves est close. La fédération ouvrière se recueille, économise et s’organise. Pour elle comme pour tout grand corps militant, la liberté ne peut être que dans la discipline… Elle fonde de vrais clubs à l’anglaise, qui sont à la fois cercles, restaurans, bibliothèques et cafés. Elle cherche à cumuler tous les profits qu’une foule de spéculateurs avides réalisent sur l’ouvrier isolé et sans appui, et elle lui procure en même temps des bureaux de placement. Ainsi tout doit profiter à la masse ouvrière et se centraliser entre les mains de ses délégués… Les travailleurs posent sans bruit les assises de fondation d’un nouvel édifice social, créé exclusivement par eux et pour eux… Leurs premières épargnes ont été gaspillées en épreuves stériles, mais instructives. Dès que celui qu’ils auront reformé avec leurs économies leur paraîtra suffisant, nous verrons recommencer entre le capital ouvrier et celui des patrons une lutte dont toutes les grèves précédentes ne sauraient nous donner une idée, la lutte du nombre organisé et discipliné contre l’oligarchie financière qui a succédé à la vieille féodalité du moyen âge, lutte d’intelligence contre intelligence et de capitaux contre capitaux, lutte virile, sérieuse et loyale, qui doit asseoir définitivement les bases de la démocratie moderne. » Tels sont les passages les plus marquans du plus récent manifeste des ouvriers parisiens. Ils peuvent à la fois inquiéter et rassurer ; ce langage en effet est celui d’hommes aussi pleins d’ambition que vides de ressources. Qu’est-ce d’ailleurs que cette fédération ouvrière ? Est-ce la même association que l’Internationale ? Ce n’est pas probable. L’anarchie serait donc au camp des travailleurs ? Il y a trois ans, M. Julian Fane, secrétaire de l’ambassade anglaise à Paris et chargé d’affaires par intérim, écrivait à lord Stanley « qu’une enquête, analogue à celle qui allait avoir lieu en Angleterre, devrait également être faite en France. » À notre avis, la seule enquête efficace en pareille matière, c’est la publicité. Aussi faut-il désirer la suppression de l’article 291 du code pénal, qui prohibe les associations de plus de vingt personnes. Tous les esprits judicieux comprennent que la société est beaucoup plus facile à défendre contre les attaques au grand jour que contre les menées souterraines.

Les faits nous démontrent que les premiers essais de solidarité