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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/1004

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de retrouver ces Vlaques dans les Mlêcches ou barbares que citent les grandes épopées indiennes.

Si j’ai tracé sans m’y arrêter les principaux linéamens de cette ethnographie, c’est pour montrer combien sont profondes les racines dont les Vlachopimènes d’aujourd’hui sont les rejetons, et en même temps combien leur souche est ancienne. Tous les hommes civilisés qui dans tous les temps ont occupé les plaines autour de la longue chaîne de Dicéarque ont eu à souffrir de leur barbarie et de leur indiscipline. Jamais, semble-t-il, ils n’ont pu se plier aux conditions de la vie sociale et politique. Se dérobant dans les forêts, les broussailles et les anfractuosités des montagnes aux poursuites des hommes de la plaine, ils ont toujours formé des bandes mobiles, avides et farouches, toujours prêtes à se jeter sur les voyageurs, à les rançonner, à les piller ou à les tuer. C’est ce que leur disait Alexandre le Grand.

Dans les temps modernes, unis à des Grecs par la commune oppression que les Turcs leur infligeaient, ils ont mené pendant quatre cents ans la vie de klephtes. Dans ce siècle, nous les avons vus à l’œuvre, arrêtant les cadis et les agas, les menant dans la montagne, les exploitant de leur mieux et presque toujours échappant à la poursuite des autorités et des troupes musulmanes. Qu’on relise à ce point de vue les chants klephtiques recueillis par Fauriel et par Passow, et l’on y verra que le métier du berger transformé en klephte était une vraie « profession » et considérée comme honorable. Lorsque après Navarin la Grèce fut érigée en royaume, les Vlaques virent-ils leur condition changée ? En aucune manière. Les terres passèrent dans d’autres mains ; mais eux, qui ne tiennent pas à la terre, demeurèrent pasteurs, nomades et klephtes, c’est-à-dire voleurs comme auparavant. Il est probable, sinon prouvé, que pareille chose arriva chaque fois que les plaines changèrent de propriétaires. On estima si peu les hautes montagnes que l’on ne s’occupa ni d’en exclure une race vagabonde et malfaisante, ni d’y organiser le pâturage sur d’autres bases. Les Grecs jusqu’à ce jour, pas plus que les Turcs, les Romains, ni les anciens Hellènes, ne modifièrent cet état de choses, les uns parce qu’ils n’avaient dans le pays que des établissemens militaires, les autres parce que leur extrême division en petits états ne leur permettait pas de prendre une mesure générale et d’exercer une action d’ensemble sur de hauts pays qui ne leur rapportaient d’ailleurs presque rien. Les bergers d’Arcadie, dont on a fait de si fades visages, furent, selon toute vraisemblance, des Vlachopimènes comme ceux d’aujourd’hui, et l’on ne peut se défendre d’un certain étonnement en voyant que, dès avant l’arrivée des Doriens, la plus haute montagne de l’Arcadie s’appelait déjà Aroanion.