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à ce que l’isthme fût ouvert, et cependant Rome elle-même avait renoncé à cette entreprise si facile.

Les Grecs d’aujourd’hui ont le sentiment très vif de ce qui leur manque pour se mettre au niveau des nations civilisées. Ils sont tout entiers en ce moment à la construction des routes, des canaux et des chemins de fer. Ils ont certainement raison, car l’Italie du sud, naguère encore plus affligée que la Grèce par le brigandage, a gagné sous le gouvernement du roi Victor-Emmanuel une sécurité qu’elle n’avait jamais connue ; elle la doit à l’énergie montrée par le gouvernement italien, mais celle-ci aurait été impuissante, si des chemins nombreux et des voies rapides n’avaient aidé et comme multiplié son action. Le gouvernement et la nation helléniques étaient fort occupés des travaux publics lorsque le triste événement d’Oropos est venu détourner leur attention vers un mal dont beaucoup de gens se croyaient à jamais délivrés. Maintenant il est avéré que le brigandage peut éclater à l’improviste et au milieu d’une apparente sécurité. La Turquie peut laisser entrer sur le territoire grec des bandes albanaises qui le parcourent en très peu de jours d’un bout à l’autre, qui se dérobent à toutes les poursuites, et se transportent, comme des oiseaux de proie, en quelques heures là où il y a une bonne affaire à réaliser. Or les Grecs savent bien que les travaux publics ne se développeront point dans de telles conditions. Si les voies de communication et surtout les chemins de fer doivent aider à détruire le brigandage, il faut d’abord que celui-ci soit réprimé avec énergie, et que l’état assure aux ingénieurs la sécurité, sans laquelle ils ne peuvent pas même étudier le terrain. C’est au gouvernement grec de rompre ce cercle vicieux en poursuivant à outrance les malfaiteurs et leurs complices.

D’autre part, une fois exécutés, les travaux publics et particulièrement les chemins de fer seront la meilleure arme que l’on puisse opposer à la renaissance du brigandage. Supposons, par exemple, qu’une ligne de chemin de fer aille d’Athènes à la frontière ottomane, près de la Thessalie, et que de là elle envoie un rameau jusqu’à l’Adriatique : elle coupe immédiatement la route aux Vlachopimènes ; nul d’eux ne peut traverser cette ligne sans être vu, car rien n’est plus facile à garder militairement qu’un chemin de fer. Si, comme on a lieu de l’espérer, le sultan fait construire le prolongement de la ligne athénienne à travers la Thessalie et par la vallée de Tempe jusqu’à Salonique, et que de Larissa il dirige à travers le Pinde un chemin atteignant aussi la mer Adriatique à Avlona, cette seconde voie coupe encore le chemin que parcourent chaque année les bergers nomades, et les place sous la main des autorités ottomanes. Enfin du moment que la tranchée du canal de