gouvernemens, ou pour mieux dire tous les cabinets, sont bien obligés, s’ils veulent vivre, de s’appuyer sur cette force collective et disciplinée qui s’appelle un parti, qui est le véritable instrument de l’action politique. C’est parce que le ministère actuel ne sent pas autour de lui cette force disciplinée et compacte qu’il flotte à l’aventure, n’ayant d’autre garantie de sécurité que l’impuissance de toutes les fractions de l’opinion, qui se neutralisent dans un morcellement indéfini.
Une majorité, il peut l’obtenir sans doute, il l’obtiendra encore comme il l’a obtenue jusqu’ici, il n’a qu’à monter à la tribune et à menacer de se retirer pour enlever une victoire de scrutin ; mais comme cette majorité n’est point l’œuvre d’une forte cohésion morale et politique, comme elle se dissout après chaque vote, on n’est pas plus avancé, c’est toujours à recommencer. Le vote d’aujourd’hui rétracte le vote d’hier et ne garantit pas le vote de demain. On vit au jour le jour dans cet artifice permanent qui crée les situations précaires. M. Émile Ollivier en a fait récemment l’expérience ; au moment où il s’y attendait le moins, il a essuyé coup sur coup quelques échecs dans le corps législatif, notamment à propos d’un amendement qui autorise la publicité des séances des conseils-généraux. Le lendemain, un jeune député de la gauche, M. Bethmont, présente une interpellation par laquelle il demande au ministère de laisser toute liberté aux réunions publiques à la veille des élections des conseils de département et d’arrondissement ; aussitôt M. le garde des sceaux, saisissant cette occasion, engage la lutte, élève une question de confiance et somme le corps législatif d’avoir à se prononcer. Ce qu’il y a eu de curieux dans ce débat impromptu, c’est qu’on ne savait pas trop ce que tout cela voulait dire ; la gauche ne s’est pas montrée ce jour-là d’une humeur fort belliqueuse, M. Bethmont lui-même a fini par retirer son interpellation, et c’est la droite qui a exprimé les plaintes les plus vives par l’organe de M. le baron Jérôme David, c’est la droite qui a trouvé mauvais que le ministère forçât ainsi le corps législatif à lui témoigner sa confiance. C’était là justement, à ce qu’il paraît, ce que voulait M. le garde des sceaux ; il voulait rompre avec la droite, il a fait ce qu’il a pu pour provoquer son hostilité, il l’a suppliée de voter contre lui. Nous avons assisté en vérité à un échangé d’explications passablement aigres, et après cela qu’est-il arrivé ? Au dernier moment, la gauche, persistant dans son attitude de neutralité, s’est abstenue de voter, comme elle s’était abstenue de prendre part à cette escarmouche ; la droite s’est bien gardée d’aller jusqu’au bout de sa mauvaise humeur, et tout a fini par un pur et simple ordre du jour qui a réuni une merveilleuse unanimité. Quel pouvait être la signification de ce vote ? Quelle force a-t-il donnée au gouvernement ? Évidemment le ministère n’a pas pu y voir une victoire bien décisive ; il est resté exactement dans la situation où il se trouvait la veille, si ce n’est toutefois que, après avoir semblé un instant s’être rapproché de la droite à l’occasion du plébiscite,