Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/1039

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À l’Opéra, si l’Agathe a ses défaillances, si le Max prête trop le flanc, l’orchestre et les chœurs tiennent vaillamment la partie, et l’on sait quelle place occupent dans une bonne mise en scène du Freyschütz ces élémens d’exécution. En Allemagne, les masses vocales sont presque tout, les personnages s’en détachent à peine, et c’est ce qui fait que dans les plus petites villes vous assistez à d’intéressantes représentations. Les chœurs du Freyschütz sont là partout en permanence ; dans ces joyeux groupes chantant les soirs d’été devant leurs portes sont des jeunes gens et des jeunes filles qui n’auront même pas besoin de changer de costume pour se transformer en Max, en Agathe, en Annette, en Casper, au premier coup d’archet, au premier appel du cor. Quel dommage que M. Villaret n’ait pas reçu la moindre confidence des secrets du pays ! il chante cette musique sans goût comme sans accent ; il ne la comprend pas, et le mieux qu’on puisse dire à sa justification, c’est qu’un autre ne la comprendrait pas davantage, et que M. Colin n’y serait pas moins déplacé. Mlle Hisson continue à jouir d’une magnifique voix dont elle ne sait que faire, et qui la gêne et l’embarrasse ; il semble qu’elle éprouve à chanter un immense ennui ; sa nonchalance s’y refuse. Chateaubriand bâillait sa vie, Mlle Julia Hisson bâille son chant. Une fois seulement cette belle voix parvient à se poser dans l’adagio de la cavatine d’Agathe, qu’elle dit avec ampleur et sentimentalité, sinon avec largeur et sentiment. M. David compose bien la sinistre figure de Casper ; je lui voudrais cependant une attitude plus soutenue. Casper est un scélérat, un damné ; il n’est point un lâche, et dans la scène de l’incantation, dans son dialogue avec Samiel, M. David abaisse le personnage jusqu’à la poltronnerie, à la platitude. J’aurais aussi mieux auguré du succès musical : un tremblement de la voix, trop sensible depuis quelque temps, nuit à l’effet des couplets et de l’air du premier acte, enlevés du reste avec bravoure. Nous ne soupçonnons guère que Mlle Mauduit eût jamais été choisir de son plein gré le rôle d’Annette ; mais on ne choisit pas son devoir, on l’accepte tel que votre directeur vous l’impose. Mlle Mauduit est une cantatrice de grand opéra : une Alice, une Rachel, une Elvire ; le malheur veut qu’en jouant Siebel, dans le Faust de M. Gounod, elle y ait réussi et prouvé, beaucoup trop peut-être pour son propre avantage, que tout en pouvant le plus, elle pouvait le moins, ce qui lui a valu la parfaite reconnaissance de l’administration et en même temps l’octroi tout délicat de ce joli rôle d’Annette, qu’elle chante et joue avec une grande sûreté d’artiste et beaucoup de gentillesse féminine.

Maintenant que penser de certains bruits d’après lesquels une distribution entièrement nouvelle des rôles du Freyschütz serait sur le point d’être essayée ? Notre opinion est qu’il n’en faut rien croire. Un directeur peut se tromper, il ne se désavoue pas. Son intérêt, pas plus que son devoir, ne lui conseille d’abandonner ses artistes ; l’un et l’autre lui ordonnent au contraire de tenir bon, de persister et de conduire