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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/107

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LA SOCIÉTÉ DE BERLIN.

ta vie à venir m’appartient. Jamais certainement deux êtres ne se sont donné l’un à l’autre plus de félicité, jamais ils n’ont eu tellement besoin l’un de l’autre. — Éternellement, — je compterai sur toi… Tu es toujours dominée par ton imagination et ton cœur ; ta sensibilité ne peut jamais rien contre ce torrent fougueux… Chère Pauline, combien je t’aime, le temps te le prouvera… Ne parle pas d’amusement ! Je ne conçois rien de plus trivial que cette expression-là. Les enfans, les dames de la cour et les enseignes, voilà ce qui s’amuse, mais un homme dont l’esprit sait s’occuper, qui sait penser, sentir, jouir, ne s’amuse pas !… — Oh ! Pauline, quand tu me connaîtras un jour, tu conviendras que peu d’hommes savent aimer comme Louis. »


Parfois il oublie Pauline, mais pour un moment seulement, c’est quand il goûte les joies tranquilles de la paternité dans le modeste home que lui a préparé Henriette Fromm, quand avec Rahel, la confidente de tous ses chagrins, il se jette à perte de vue dans sa philosophie naturelle, ou simplement quand il a les mains sur les touches du piano. « C’est singulier, dit-il une fois de Pauline, elle ne me vient jamais à l’esprit quand je joue du clavecin, jamais dans mes émotions ou dans mes réflexions élevées. » Aussi recherche-t-il la société des autres femmes, et souvent il est obligé de se défendre vis-à-vis de sa maîtresse.


« Certes les dures expériences du monde n’ont pas refroidi mon cœur ; elle n’est pas morte en moi, la divine poésie de la vie, qui seule rend heureux ; la foi en l’amour, en l’amitié, en tous les sentimens élevés qui distinguent les natures nobles… J’aime les femmes, oui, je trouve quelque chose de doux dans leur compagnie ; mais, Pauline, par Dieu, par tout ce qui a de la valeur à tes yeux, tu ne me connais pas, si tu crois que le désir de les posséder est toujours éveillé en moi. L’amitié de Rahel a un caractère qui est plus doux que tout le reste ; c’est là ce que je sens si vivement. L’amitié des hommes est si rare, et, laisse-moi le dire, — je puis m’en passer… »


Les dithyrambes et les apologies alternent avec les reproches, avec les souvenirs de scènes violentes. La passion ne remplit pourtant pas seule ces étranges lettres ; on y rencontre aussi de l’observation, de l’esprit même, quoique le ton général soit celui de l’exaltation amoureuse, et malgré ces digressions satiriques, c’est, on le croira sans peine, le bavardage amoureux qui est le thème habituel du correspondant. Tantôt ce sont des admirations de haut style, tantôt des chatteries familières, plus souvent des éclats de passion. Aujourd’hui il lui demande une tendresse calme qui puisse porter le repos dans son cœur troublé, enfiévré ; demain il sollicite des ivresses nouvelles : à chaque page, des descriptions des charmes de