Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178
REVUE DES DEUX MONDES.

teigne par un pèlerinage à sainte Reine ; les hubains, que l’intercession de saint Hubert avait guéris de la rage ; les coquillards, qui vendaient des coquilles bénies aux autels de saint Jacques et de saint Michel. D’autres avaient des habitudes spéciales : les courtaux de boutange ne quémandaient que pendant l’hiver, et les drilles ou narquois, assez semblables au mendiant de Gil Blas, réclamaient l’aumône le chapeau à la main et l’épée au côté. Telle compagnie parcourant la ville n’était point rassurante ; on ne paraît pas cependant s’en être trop effrayé, on s’en amusait même en haut lieu, et Louis XIV ne dédaigna point de danser en 1653 le ballet de la Nuit, dont l’entrée était la représentation de ces fraudes misérables et honteuses.

Tous les lieux que les mendians ont occupés à Paris, et dont successivement, mais non sans peine, on est parvenu à les expulser, se sont appelés la Cour des Miracles ; le miracle était que, rentrés à la bauge, ces estropiés et ces mourans étaient subitement remis en santé. Le dernier emplacement où ils se sont vautrés dans la vermine et la promiscuité est encore reconnaissable, et sans peine on réussit à le reconstruire ; il a du reste conservé le vieux nom traditionnel. Sur le plan de Gomboust, on en voit très exactement la configuration. Ce refuge à truands s’appuyait contre les murailles qui fermaient le jardin du couvent des Filles-Dieu, sur lequel, en 1799, on a construit les hideux passages du Caire ; il avait la forme d’un couperet de boucher dont la cour eût été la lame et la rue Neuve-Saint-Sauveur le manche ; deux petits groupes de maisons parallèles semblent en masquer l’entrée ; dans l’espace laissé libre grouillait pêle-mêle, sous des abris de hasard pendant l’hiver, à la belle étoile pendant l’été, cette population qui mettait au désespoir tous les sergens de la prévôté de Paris. On nettoya ce cloaque lorsque, sous Louis XIV, on institua l’hôpital-général ; mais certains lieux et certains hommes paraissent, comme les corps chimiques, doués d’affinités électives, et les sujets du royaume de l’argot, lorsque la surveillance se ralentissait ou que les circonstances le permettaient, se hâtaient de retourner à cette Cour des Miracles qu’avaient habitée leurs ancêtres. Pour en finir, on voulut utiliser cet emplacement, et des lettres patentes du 21 août 1784 y prescrivirent la construction d’une nouvelle halle à la marée et aux salines ; le projet fut bien près d’être mis à exécution, car on le retrouve indiqué avec tous les détails compatibles sur le grand plan que Verniquet termina en 1791. Aujourd’hui la Cour des Miracles est une sorte d’asile très calme et très reposé ouvert au milieu d’un des quartiers les plus bruyans de Paris. L’ancienne rue Saint-Sauveur, qui en 1503 s’appelait la rue de la Corderie, et servait de