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qu’on rencontra. La mesure parut efficace et radicale ; Paris fut délivré. On en trouve la preuve concluante dans le récit du séjour que deux jeunes Hollandais, les sieurs de Villers, firent à Paris pendant les années 1657 et 1658 ; ils racontent la visite qu’ils font « au Petit-Arsenal, qu’on a destiné au renfermement des pauvres qui vont truchant par les rues ; » ils s’extasient sur les préparatifs qu’ils voient, sur la grandeur des marmites, sur les vastes proportions de l’enclos, et ils terminent par cette réflexion qui mérite d’être retenue, car elle prouve l’excellent résultat qu’on avait atteint : « c’est le plus bel establissement dont on se put jamais adviser, et c’est une merveille qu’on ne voye à présent pas un mendiant dans Paris, qui en fourmilloit autrefois. » L’institution hospitalière fut complétée par la création de l’hôtel des Invalides. L’idée n’était pas neuve. Déjà Henri IV, par ses édits de 1597, 1600 et 1604, avait attribué aux soldats réformés la possession de la maison de la Charité chrétienne (Lourcine), Louis XIII en 1634 avait érigé dans la même pensée Saint-Jean de Bicêtre en commanderie de Saint-Louis, de plus des places de frères lais étaient réservées dans certains couvens aux anciens militaires ; mais ces pauvres diables préféraient sans doute la liberté et les chances de l’aumône, car ils ne se rendirent guère aux maisons qui leur étaient destinées. Un arrêt du conseil, daté du 12 mars 1670, décida la construction de l’hôtel des Invalides, qui était déjà habitable dans les premiers mois de Tannés 1674, et cette catégorie de mendians disparut.

Dans ce temps-là comme dans le nôtre, Paris était, par rapport aux malfaiteurs, aux vagabonds et aux mendians, l’inverse du tonneau des Danaïdes : on a beau le vider, il se remplit toujours. Toute misère y afflue non-seulement de la province, mais de l’étranger. En 1688, on est loin de l’époque où l’hôpital-général avait refermé ses portes sur les mendians de la ville, car voilà une ordonnance du 24 mars qui leur commande, sous peine d’être envoyés aux galères, de s’éloigner avant le premier jour du carême prochain ; les mauvaises années arrivent sur la fin du règne, les désastres militaires et les disettes semblent s’être donné le mot pour amoindrir le royaume ; en 1694, on essaie d’installer pour les mendians des ateliers publics ; les maisons de refuge regorgent, et ne peuvent plus recevoir de pensionnaires ; La Reynie fait faire, quartier par quartier, le recensement de la population quémandeuse et donne le chiffre de 3, 376, y compris les femmes et les enfans[1]. Six ans plus tard, on perd littéralement la tête, car ce n’est plus à la mendicité qu’on s’en prend, c’est à la charité ; une ordonnance de 1700

  1. P. Clément, la Police sous Louis XIV, p. 48.