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LA MENDICITÉ DANS PARIS.

merie ne chôme pas ; elle est plus vaste ou du moins mieux aménagée que les ateliers et les dortoirs ; les lits sont placés moins près les uns des autres, une sorte d’allée médiane les sépare, et en la traversant on peut voir les malades amaigris s’agiter faiblement sur leur grabat. Tous les cas de maladies séniles semblent être représentés là ; il y a des gâteux, des aveugles, des épileptiques, des paralytiques, des incurables de toute sorte, des moribonds de toute espèce, dont la vraie place serait dans des hospices plutôt que dans une maison de répression. On meurt beaucoup à Saint-Denis : 128 femmes, 290 hommes en 1869. Cela se comprend ; la plupart de ceux qui arrivent à cette dernière étape ne tiennent plus à la vie que par un fil, et pour eux le dépôt est l’antichambre du cimetière. À ces causes inhérentes aux individus eux-mêmes, il faut ajouter celles qui résultent de l’insalubrité de l’établissement, insalubrité singulièrement augmentée et toujours entretenue par un égout à ciel ouvert apportant dans les préaux le dégorgement des ruisseaux de la ville, et par une affreuse petite rivière, qu’on nomme le Croust, qui, après avoir recueilli le résidu des produits chimiques des usines qu’elle met en mouvement, passa au milieu des cours, empoisonnées par ses émanations nauséabondes.

Il faut jeter par terre au plus vite cette maison de malédiction, qui est une honte pour l’administration centrale. C’est bien la peine d’avoir quelques prétentions à être un peuple civilisé pour conserver de pareilles masures, que le seul soin d’une dignité qui se respecte devrait faire raser immédiatement. Comment la préfecture de police n’a-t-elle pas pris les mesures nécessaires pour faire construire une maison de répression en rapport avec ses besoins ? Parce qu’elle n’est que pouvoir exécutif, parce qu’elle n’a pas de budget, parce que c’est la préfecture de la Seine qui doit lui fournir les bâtimens, les locaux, les ameublemens, qui lui sont indispensables ; elle utilise de son mieux les établissemens qui lui sont confiés, mais elle est forcée de les accepter tels qu’on les lui donne. La division des pouvoirs est un excellent principe en matière administrative ; mais, lorsqu’il est poussé jusqu’à l’absurde, il peut facilement produire les effets désastreux que nous venons de constater. Au moment où l’on parle fort de décentralisation, c’est-à-dire de donner plus d’activité à notre administration, qui ne manque pas de bon vouloir et souvent ne demande qu’à aller vite, mais dont les mouvemens sont paralysés par la multiplicité des rouages engrenés les uns dans les autres, il n’est point superflu de raconter sommairement l’histoire des modifications que la maison de répression de Saint-Denis a dû subir et n’a point subies.

Dès 1834, le conseil-général de la Seine exprime la pensée d’aban-